Les apprentissages -1

Moon-Town, lors d’un stage de préparation au second degré



Après avoir surmonté les affres de la découverte de la réalité du cavalier débutant, j’ai poursuivi ma quête.
Une quête de quoi, c’était très imprécis.
Une quête de mieux probablement.

Mieux habillée, plus « cavalière » en apparence, j’ai très vite tout fait pour y parvenir.
Ah, les apparences !
Voilà encore un truc très humain, j’ai jamais vu un quelconque animal lécher les vitrines ou les catalogues de mode… à moins qu’ils n’aient été préalablement enduits d’un quelconque produit appétant.

En ville, près de mon lycée (avenue de Saxe pour ceux qui connaissent) il y avait un magasin de sport qui, en plus des raquettes de tennis, vendaient des bombes et des cravaches.
Le choix était très réduit, mais il me faisait quand même rêver.
Je dois avouer que je passais pas mal de temps à me balader en ville en sortant du lycée.
Le top était un magasin de décoration situé Cours Franklin Roosevelt, dans un recoin de ce magasin, il y avait un rayon « équitation », un rayon presque secret que seuls les initiés connaissaient et c’est là que j’ai acheté mon premier pantalon d’équitation (prêt à porter de marque allemande)
Mais avant et en premier je m’étais offert une cravache, en jonc tressé comme ça se faisait à l’époque.
C’était totalement inutile, mais en tenant « ma » cravache, dans le secret de ma chambre, je me sentais un peu plus cavalière et ça valait le coup. Et puis c’était le seul objet accessible à ma tirelire, environ 10 francs, l’équivalent d’une vingtaines de baguettes de pain, un peu moins de trois heures du SMIC d’alors.
En deuxième, à l’occasion d’une « grosse » rentrée d’argent, je me suis offert une paire de bottes. C’étaient les toutes premières bottes, en plastique, moulées sur le modèle des véritables bottes en cuir (lesquelles n’existaient que sur mesure chez les bottiers).
J’étais tellement fière d’avoir enfin des bottes. pour y enfiler mon pantalon de survêtement.
J’ai considéré avoir vraiment « la classe » le jour où j’ai enfin possédé une bombe : gravir les marches qui accédaient au club-house de l’école d’équitation en étant bottée, cravache enfilée dans une botte et bombe sous le bras, c’était définitivement avoir l’air de quelque chose alors même que je n’étais point culottée.

Bon, j’ai toujours été gourmande. Alors de pas grand chose, il fallait passer à quelque chose et à mieux. Toujours mieux, que ce soit en matière de capacité à monter à cheval, en matière de connaissances théoriques ou en matière de mode équestre. En même temps, je restais dans la troupe des « pauvres » cavaliers de loisir à carte rose, sans tailleurs, sans bottiers et sans monture.

Une grosse poignée de cavaliers « carte rose » poursuivit l’aventure en « débutant 2 ».
Les reprises étaient alors assurées par un associé, c’était beaucoup plus fade.
En « Intermédiaire 1 » la poignée devint petite, mais à la fin nous passions le grade du premier degré, un examen où il fallait avoir pantalon ad hoc, bombes, bottes, tapis de selle et cheval bien astiqué. La réussite assurée assurait aussi le passage dans la classe d’au dessus, celle d’où on pouvait enfin regarder les débutants d’un peu plus haut, au moins à travers la vitre du club-house qui surplombait le manège.

Dans ce coin de la ville, l’école était au milieu des petites maisons du quartier qui jouxtaient le récent campus de la Doua. Inutile de rêver à la moindre promenade. Le graal consistait à participer au stage de Pâques, dans la maison de maître que possédaient les fils du Commandant, en pleine campagne de Saône-et-Loire. C’est là-bas, au « château », que j’ai fait mes premières balades, mes premiers parcours d’obstacle, que j’ai nettoyé des boxes pour la première fois et pansé chaque jour le cheval qui m’était attribué pour une semaine. Le stage, obligatoirement en pension complète, était prévu pour faire ces découvertes là.

Au fil des années qui passaient, l’équitation se démocratisait et l’ambiance changeait perceptiblement.
Il y avait de plus en plus de filles, le port de la bombe se généralisait, un apprenti-moniteur renforça l’équipe enseignante. Je restais une inconditionnelle du maître de manège, de ce Jean M. qui devint un jour Jeannot, dont René et Dominique n’étaient que de pâles répliques sans élégance.

L’année du second degré, nous entrions dans la classe « confirmé » et le top, c’était la reprise du samedi matin où nous étions cinq-six cavaliers seulement dont plusieurs adultes. Là, nous montions les chevaux qui débarquaient du champ de course et nous participions à leur formatage afin qu’ils passent de « cheval de course » à « cheval de manège ».
A ce moment, J’étais devenue totalement autonome en matière de transport. Plus besoin de papa, plus besoin de marche à pieds ni d’interminable trajet en bus, juchée sur mon « Solex » j’allais au manège quand j’en avais envie. Mais, je ne montais jamais plus de deux fois par semaine. Le salaire grappillé en travaillant les mois d’été ne me permettait pas davantage d’autant moins que le supplément me coûtait le tarif de la carte blanche!
La nouveauté à ce niveau, c’était que nous avions parfois « le droit » d’entrer dans le manège à côté du maître.
Généralement ça commençait par un message à lui faire passer. Pour ce faire, il fallait monter dans la petite tribune en bois et demander la permission d’entrer. Une fois dans le manège, parfois la possibilité de rester était accordée. Ces jours de grâce, le maître nous partageait son coup d’oeil : « vous voyez, Valentino, là, il s’engage pas » ou « regardez, Bou-bou, il laisse échapper ses hanches ». Non seulement j’avais l’impression d’être privilégiée, mais en plus je « voyais », et ça m’aidait à comprendre les réflexions désagréables qu’il fallait souvent encaisser lors des reprises.
Et un jour, je suis passée au grade supérieur. Alors qu’une reprise allait commencer et que je trainais aux abords, je reçu la proposition d’entrer dans le manège sur l’air de « vous m’aiderez à ramasser les barres ».
Et, plus loin, petit à petit je fus nommée par mon prénom et finalement le « tu » me fut octroyé.

J’apprenais avec avidité, passionnément.

A suivre.

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