L’école d’équitation – 3

Oui avais-je répondu sans plus de commentaire.

L’humain est un animal très particulier qui est éduqué au bien et au mal et donc capable de répondre « oui » à la question « c’était bien ?  » et ce quelles que soient ses sensations physiques réelles.
Aucun animal n’a cette même compétence.
Un animal qui a mal est douloureux.
Un animal plein de tensions est inconfortable.
Un animal est dans l’instant présent immédiat, sans espoir, sans imagination, simplement sollicité par ses besoins fondamentaux, simplement poussé par un certain sens de la survie.
L’humain est sensé, c’est à dire qu’il est capable de donner un sens à ce qu’il fait, en conscience ou non.

Que pouvais-je donc répondre d’autre que ce oui minuscule après la première reprise à l’école d’équitation?
Je l’avais si longtemps rêvé, j’avais si souvent imaginé ce jour où enfin je serai cavalière, je m’en étais donné les moyens (à la hauteur de mes moyens) et mes parents avaient fait ce qu’ils pouvaient pour m’aider.
Oui…
Et il restait neuf cases vierges sur la carte rose !
Neuf reprises à accomplir, neuf semaines à récidiver !
Il fallait impérativement que ma raison s’empare de l’histoire, que j’avance et que plus loin arrive enfin. Ca je savais déjà bien le gérer et je m’y attelais courageusement.

Le mardi suivant fut quasiment la réplique du premier.
Celui d’après pareil.
Le quatrième mardi fut le dernier où j’enfourchais Mont d’Arbois.

C’était ma première victoire et je l’ignorais.

Car, si je me sentais un tantinet moins en déséquilibre, si j’avais l’impression de moins être secouée dans tous les sens, j’étais bien loin d’être tout à fait à l’aise dans les exercices de mise en selle. Il était alors aucunement question de prendre la moindre initiative pouvant laisser penser que j’avais une quelconque influence sur le cheval.

Le maitre de manège, lui avait l’oeil et l’expérience.
Le cinquième mardi, en tamponnant la carte rose, il leva son regard bleu en ma direction en disant « Aujourd’hui, vous prendrez Tilda »

Tilda était une petite jument grise d’origine barbe.
C’était un reste de l’ancienne cavalerie de l’école désormais composée de purs-sangs réformés des courses.

La reprise commença fort bien. Tilda était plutôt confortable et elle suivait les ordres aussi bien que Mont d’Arbois et les autres.
J’étais confiante.
Et puis, lors du rituel dans le bureau, j’avais entendu qu’aujourd’hui nous allions galoper. Quelle aventure enthousiasmante!
Galoper ! Le rêve de tout cavalier novice. Dans ma tête se mêlaient déjà les images de Tornado et de Jolly Jumper, je me voyais cavalière solitaire arrivant au galop dans un nuage de poussière.
Je me faisais mon cinéma, j’étais confiante.

La réalité advint juste après le départ au galop ordonné à la lettre C.
Tilda sortit de la piste, se délestant en même temps de l’encombrement que je lui imposais, par simple effet de la force centrifuge, et alla tranquillement s’arrêter au beau milieu du manège.

Je me relevais, secouais la sciure collée à mon pull et me dirigeais vers Tilda.
Les autres continuaient leur galop au rythme des recommandations :
« Gardez les épaules en arrière, laissez tomber vos jambes, cirez bien le fond de la selle, etc »
Enfin vint « A mon commandement, en A, marcheeeeez au paaaaaas » et le maitre de manège arriva vers moi en disant « Et bien mademoiselle, que vous est-il arrivé ? » et il m’aida à remonter.
C’était reparti.
Après avoir changé de sens de rotation dans la diagonale, le même scénario se produisit.
Exactement le même, dans l’autre sens.
La force centrifuge se moque du sens de rotation et Tilda était remarquablement déterminée à éviter la fatigue. J’étais bien trop ignorante en psychologie équine (et même en psychologie tout court) pour le comprendre alors.
Je détestais instantanément le galop.
Exit Tornado et Jolly Jumper, je détestais Tilda, je détestais l’équitation, j’étais humiliée, mes rêves étaient envolés, la reprise touchait à sa fin et j’attendais l’ouverture de la porte comme une libération de prison (j’ai jamais connu la prison en temps que prisonnière, hein!)

« Ca s’est bien passé » demanda mon père.
« Oui » répondis-je comme d’habitude.

Mais, je prenais de l’assurance. Avais-je un autre choix sinon l’abandon ?

Le mardi suivant, lorsque le groupe allongea le trot et commença à galoper à la lettre C, Tilda s’engagea dans la tangente sans que la force centrifuge ne réussisse à me faire expérimenter, en plus, la force de la gravité.
Je m’accrochais au dessus de ma monture, de toute ma désespérance, et nous arrivâmes au milieu du manège, Tilda droite dans ses bottes comme d’habitude et moi accrochée autour de son encolure, de travers sur ma selle, le coeur battant la chamade, pas vraiment fière de ma drôle de posture mais néanmoins indemne de toute poussière.
A la seconde tentative de galop, j’ai presque galopé avec les autres pendant quelques foulées puisque la sacrée Tilda visa le point X seulement devant le miroir. Elle le fit d’un coup sec et il y eu une nouvelle séparation des corps.

Et le cirque continua encore deux mardis. Sauf que je m’accrochais de plus en plus efficacement au point que la maitre manège soit obligé de me lancer un nouveau défi, celui qui consistait à faire décoller la jument du centre pour rejoindre les copains au galop sur la piste.
Je devenais donc une espèce de pantin agitant et les bras et les jambes pour essayer de convaincre la jolie barbe.
En vain.
Cependant, magie, magie, le dernier mardi de la carte rose je me suis retrouvée en train de galoper en queue de peloton. Rien de bien glorieux ni de très académique, mais ce fut une nouvelle victoire.
Vu d’aujourd’hui, je cherche encore quel geste le maitre de manège avait pu faire, quelles paroles il avait bien pu vociférer pour que Tilda lui obéisse et rentre dans le rang.
J’ai mis des années avant de devenir reconnaissante envers Tilda, admirative de sa constance, et aussi admirative de la pédagogie du maître à mon égard. C’était un très bon enseignant et c’était une époque où rien n’était comme maintenant.
Bref.

Lorsque le mardi suivant, une nouvelle carte rose fut entamée, j’ai eu droit à un nouveau cheval. J’aurais vraiment apprécié Oranie, elle était si ronde, elle paraissait si sage, tellement appliquée et fiable mais je ne l’ai jamais, jamais montée.
A l’époque, personne n’aurait eu l’idée de demander une monture plutôt qu’une autre, il fallait sans doute apprendre ce que l’enseignant décidait que nous devions apprendre.

A suivre

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