L’école d’équitation – 2

Le jour J était enfin arrivé, j’étais à l’école d’équitation.

En pantalon de survêtement et chaussures de tennis, je tenais le brave Mont d’Arbois à côté de ses compagnons. La porte du manège venait de claquer, nous étions une douzaine de cavaliers débutants à attendre.
Moi, j’ignorais ce que j’attendais.
A cet instant précis, j’avais la tête vide.
Mon cheval ressemblait à une montagne, le manège à une planète, le maître de manège à un empereur et moi, je ressemblais à rien de ce que j’avais pu imaginer.

« Et vous appelez ça alignés ? Je veux voir une seule tête mesdemoiselles, messieurs »

Aucune méchanceté ni menace dans la voix qui venait de lancer ces mots, c’était un fait, nous étions tous et chacun plus ou moins en vrac sur cette ligne droite qui s’étire entre A et C. Nos braves montures connaissaient parfaitement leur boulot mais accordaient assez peu d’importance à la lecture et à la géométrie, pour ça il fallait toute la « science » des cavaliers, n’étions nous pas à l’école ?
Nous étions tous novices au même niveau, à quelques semaines près.
Totalement novices et sans aucune culture équestre.
C’est plus tard que j’ai compris que nous étions « la reprise des cartes roses » comme la reprise précédente était celle des étudiants du campus d’à côté. Nous faisions tous partie des nouveaux venus dans ce monde de l’équitation de loisir autrefois réservé à une certaine classe de la société, il fallait que nous apprenions les codes.
Et les codes, les seuls codes connus pour l’enseignement de masse étaient à l’époque ceux de l’armée. C’est l’armée qui s’était chargée des années durant d’éduquer des soldats pour former de solides bataillons montés. Désormais, n’était-ce pas à l’armée que les conscrits passaient en masse le permis de conduire des voitures ?

A proximité de la révolution de 1968, alors que « ça » bouillonnait de toute part, que beaucoup, beaucoup d’habitudes étaient remises en question, nous acceptions paisiblement de rentrer dans le rang.
En aparté et vu d’aujourd’hui, moi la rebelle, la spécialiste des transgressions, l’inventive, la créatrice, je ne peux que rendre un vibrant hommage à ces notions de rangs, de cadres, de codes. C’est en effet grâce à l’apprentissage attentif et rigoureux de ces obligations que j’ai toujours pu trouver les failles et les lumineux interstices par où m’en évader sans le moindre mal.

Mais revenons au jour J.

Chacun avait tenté de s’aligner mieux et c’était pire! Allez donc essayer de faire bouger 500 kg de viande sans trop les bouger et vous verrez le résultat!
Le maître expérimenté ne s’en émouvait point, suite à nos efforts, il enchaina.

« On ressangle »
« On ajuste les étriers »

Et en même temps il entreprit sa supervision des troupes, félicitant ceux qui savaient déjà, aidant ceux qui hésitaient encore. Arrivé à mon niveau, il m’expliqua (en ajoutant qu’il le ferait pas deux fois…) puis il en profita pour me dire comment enfourcher la montagne tout en me facilitant l’escalade. Et d’un coup, je dominais la troupe encore à pieds! Quelle sensation!

« A mon commandement, à cheval »

Et voilà, nous étions à nouveau tous à la même altitude.

« A mon commandement, Oranie vous prenez à main droite, au pas »

Oranie, c’était le nom d’une jument un peu ronde, baie brun. Aussi longtemps que nous restions des élèves non-confirmés, nous étions appelés par le nom de notre monture, voire de temps en temps par notre patronyme, mais jamais par notre prénom.

Et la reprise s’ébranla à la suite d’Oranie.
Mont d’Arbois s’engagea sur la piste à son tour sans que je n’aie rien à faire.
Ca y était, j’étais à cheval !
Je me regardais en passant devant le grand miroir poussiéreux qui trônait au dessus de la lettre E. Et puis je détournais les yeux, définitivement je n’étais ni la princesse Anne, ni Janou Lefèvre!
J’accueillais chacun des mots du maitre de manège comme un message divin, immédiatement gravé dans ma mémoire, de ce côté aucune soucis. Par contre, je me faisais trimballer sur le dos du cheval. Nous n’avions gardé les pieds dans les étriers que le temps d’un seul tour de manège, il avait ensuite fallu les « quitter ». Bon, il faut bien avouer que mes pieds refusaient d’y rester et que le métal de ces foutus étriers que je tentais de rattraper battait désagréablement contre mes mes malléoles.

« On croise les étriers par dessus l’encolure »

Ouf, le martyre de mes malléoles s’achevait, mais en réalisant le croisement j’avais bien failli glisser et tomber.
Et hop commença le frottement des étrivières contre l’intérieur des cuisses.
Mais, comme il fallait regarder haut et loin, avoir le regard fier, et comme je l’avais bien noté, je tentais désespérément de faire du mieux que je pouvais.

« A mon commandement, en C, trottez »

J’ai pas de mots.
A l’instant même où cet ordre fut prononcé, Mont d’Arbois se mit en branle pour suivre ses copains et j’ai essayé de survivre à la torture qui commençait. Je n’étais plus que douleurs, les jambes étirées vers le bas ou dramatiquement cramponnées aux flancs pour essayer de me maintenir en selle, le cul agressé par les rebonds sur la selle, la tête quasiment vidée de ne plus savoir où donner de la tête.
J’ai survécu.
Et mieux j’ai même esquissé un sourire intérieur en regardant les autres, particulièrement une fille un peu ronde dont les énormes seins montaient et descendaient dangereusement. Et oui, moqueuse j’étais déjà! J’ai surtout béni le ciel de m’avoir si peu dotée de ce côté là!

« A mon commandement, diagonale et au pas »

Yeaaaaahhhhhhh, au pas, quel bonheur, que du bonheur.

Ainsi se déroula cette première reprise, de torture en bonheur, de souffle retenu à expiration contenue, de souffrance en bien-être.

Elle prit fin après les ordres ultimes.

« Marchez au pas.
Remettez vos étriers, à mon commandement doublez et arrêtez vous sur la ligne du milieu.
Enlevez vos étriers.
Cavaliers, pied à terre.
Vous dessanglez et vous remontez vos étriers
Je vous remercie »

Avais-je adoré?
Avais-je détesté?
J’avais le corps en vrac.

J’ai ramené Mont D’Arbois dans son boxe, l’homme à la paille dans les cheveux allait s’en occuper.

J’ai rejoins mon père qui attendait dans la voiture comme promis.
« Alors, c’était bien ? « 
« Oui »

A suivre

2 réflexions sur « L’école d’équitation – 2 »

    1. Joelle Auteur de l’article

      Coucou,
      Super question que je me suis posée sans avoir de véritable réponse! Quelques idées sont proposées sans aucune certitude.

      C’est pas le sujet du jour, j’ai besoin de terminer la rédaction des billets relatant mes débuts de cavalière, mais je garde l’idée sous le coude, l’hypothèse que ce qui est passionnant en équitation de loisir c’est de n’avoir aucune véritable réponse, un peu comme dans la vie, en fait 🙂

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