A cheval sur l’authenticité

En partant sur « mon » île préférée, j’avais emporté deux choses : un bouquin publié à la fin des années 60 au sujet de la psychologie du cheval et l’idée d’aller voir un vieux gaucho installé sur l’île.

Le bouquin s’avérait âpre à lire, ce fut un livre que j’avais pourtant dévoré « dans le temps ». Il m’apparaissait désormais comme d’un autre âge bien que les propos abordés soient tout à fait bien argumentés et que la « science » n’ait pas changé grand chose dans le domaine.
Il n’en demeurait pas moins d’autant plus passionnant, mais à petites doses quotidiennes.
En fait comme beaucoup d’ouvrages d’autrefois, il est écrit en langage savant, riche d’une multitudes de sources et il ne ressemble aucunement aux ouvrages d’aujourd’hui chargés de belles images mais dénués de textes réellement érudits, des ouvrages de « consommation courante » destinés à encourager la course à la consommation et au … jetable!

Jetables les livres, jetables les idées, jetables les influenceurs.

Le gaucho habite sur l’île depuis une vingtaine d’années, il a conservé de son pays d’origine (L’Uruguay, pays du monde où il y a le plus de chevaux par habitant) l’habitude d’avoir des chevaux dans son jardin. A un détail près : sur l’île il n’existe ni herbe ni pâtures. Les chevaux sont confinés sur de la terre battus et nourris avec des granulés et un peu de foin importé, c’est très onéreux!
Il m’avait dit que je pouvais arriver un peu à l’avance, ce que j’ai fait après avoir trouvé grâce au GPS le site où ses animaux sont hébergés au milieu de nulle part.
Je l’ai aperçu de loin derrière le grand portail clôt, son accoutrement en bleu de travail et son chapeau ne trompaient pas. Il rentra les énormes bergers allemands qui montaient la garde et m’accueillit avec le sourire « comme il se doit » envers la touriste que je suis.
En premier il m’informa : « tu vas voir, moi je fais dans le respect et le naturel, mais pour de vrai ».

OK

J’étais préparée pour me taire et observer.

Mais quand même, ignorant ce qui avait été dit à mon sujet, il fallait que je lui montre mon intérêt réel pour les chevaux, ma non-peur et… Pourquoi pas un soupçon d’expérience?
Je me dirigeais donc vers le cheval à l’attache.
C’était un cheval plutôt joli et bien fait. En lui flattant l’encolure, je questionnais pleine d’espoir : « C’est celui que je vais monter? »
Non, il désigna à mon intention un petit cheval quasi noir vers lequel il m’entraina.
Une fois dans le corral, je tentais (délicatement) une allusion sur l’aspect « maigrichon » de la pauvre bête, mais je fus vite remise à ma place.
Lui était le maître, le spécialiste de l’équitation naturelle et de « l’amour » des chevaux.

A partir de ce moment, je n’ai plus parlé que de la pluie et du beau temps, me contentant d’observer tout ce que je pouvais capter.
Le gaucho essaya de me faire une démonstration de son rapport aux chevaux en utilisant, pour ce faire, le compagnon de corral du cheval noir qui m’était imparti. Ceci non sans avoir préalablement affirmé que le cheval choisi pour la démo était encore sauvage, immontable et difficile.

OK.

De retour à la barre d’attache, il me refusa toute action. J’étais une touriste, c’était clair.
En retrait, je notais tous les détails.
Les noeuds des licols en corde (en France on les appelle « licols éthologiques ») avaient usé le poil des chevaux aux points d’appui. La longe était attachée si courte que les chevaux pouvaient à peine tourner la tête pour regarder alentours.
Je posais quand même la question de savoir si nous allions monter en licol (j’avais vu des photos où il le fait) en me réjouissant ouvertement à cette idée. Une fois de plus la réponse tomba en fermant le sujet : « Non, c’est une question de sécurité! ».

OK

Il sella en serrant d’un coup les sangles à leur point de non retour.
Il emboucha les deux animaux avec un mors droit à levier et ajusta les gourmettes.
Comme il vit ma grimace, il se justifia : « Ca leur fait pas mal, c’est pour la sécurité ! »
Puis il me tendit une cravache avant de m’inviter à monter.
Décidément incapable de me taire, je lui rétorquais que je n’avais pas besoin de cravache d’autant moins que les chevaux allaient vraisemblablement se suivre.
Il argumenta une fois de plus, vantant l’indépendance de ses chevaux, ses méthodes naturelles et la sécurité, puis devant mon attitude bien campée, il finit par conclure qu’il allait prendre la cravache avec lui.. okazou !

OK

Et nous partîmes.
Et il fit la conversation.
Comme prévu mon cheval suivait le sien d’un petit pas raide. Rênes longues et jambes inactives, je me laissais aller, à la fois impuissante et totalement résolue à le demeurer.
Plus loin, il me proposa de trotter et après quelques foulées les chevaux se remirent paisiblement à leur routine, au pas.
Bis repetita placent, résultat identique.
Alors, il me proposa d’échanger nos chevaux, je me demande encore sur quelle « bonne raison ».
J’acquiesçais avec joie.
Sentant le changement de cavalier, le grand cheval blanc se précipita trois pas en avant. Impassible je la laissais faire en serrant imperceptiblement les doigts sur les rênes longues (l’embouchure était vraiment trop « méchante » pour que je l’utilise).
Sans autre action l’animal repris son pas calme et le noir suivi comme il avait suivi jusque là. Ce qui est certain c’est que le pas du grand blanc était vraiment plus souple, donc plus agréable à mon vieux dos.
Enfin, la promenade toucha à sa fin.
Le gaucho continuait à me faire la conversation, essayant de positiver « cet excellent moment que nous passions ensemble à partager nos idées qui étaient semblables ». Captait-il les milliers de pensées qui me traversaient ou était-il en quelque sorte désarçonné par mon attitude si peu « normale » pour une touriste en mal de balade à cheval ?
Je l’ignore.
Dans l’ultime montée vers le corral, il m’ordonna de tendre les rênes en expliquant que le cheval allait partir au galop, car d’habitude il part au galop à cet endroit, car c’est un cheval qui « aime » courir.

OK

Je prenais un contact mou pour lui faire plaisir, le relâchant immédiatement.
Il demanda le galop.
Et mon cheval resta au pas.
Puis l’animal voyant son compagnon galoper décida de trotter et finalement galopa.
Rênes longues, il galopait.
Je tenais ma casquette d’une main afin qu’elle ne s’envola point.
Tranquille.
Tranquille pendant que le gaucho essayait de faire la démonstration de ce qu’il était capable de faire au galop, comme attraper les oreilles de « mon » cheval.
Je me contentais de surveiller ma casquette.
Tranquille.
Rapidement les chevaux qui aiment tant courir se mirent spontanément au pas.
En voyant enfin arriver le portail, je me suis dit que j’en avais définitivement terminé avec l’idée de me balader à cheval de cette manière.

Je me balade en vélo, je me balade à pied.
Je me balade dans ma tête.
Toujours avec un grand plaisir.

A cheval, je cherche une relation, j’explore, je note, j’observe, je suis dans un « monde » spécifique, c’est une réponse à un autre besoin.

2 réflexions sur « A cheval sur l’authenticité »

    1. Joelle Auteur de l’article

      C’était particulier.
      J’avais plusieurs fois entendu parler de ce « gaucho » à travers la communauté sud-américaine de l’île et c’est sur « recommandation » que le contact fut établi.
      J’étais principalement curieuse tout en m’attendant autant au pire qu’au meilleur.
      Ce fut très enseignant au sujet de ce que sont capables de dire ceux qui souhaitent plaire à l’air du temps tout en évitant de changer quoi que ce soit aux habitudes acquises de longue date.
      C’est pareil en France.
      Il est certain que je ne fus que de passage, définitivement « touriste » à ses yeux, d’ailleurs il me raccompagna en disant « tu es mon amie, viens quand tu veux », le genre de propos qu’il est de bon ton de tenir aux touristes à plumer 😀
      Je venais de lui glisser le petit billet négocié d’avance par la maman de L. (Tu comprends, il a des frais le pôvre, le foin coûte cher, c’est pas un professionnel, etc…) et tu me connais, je ne graisse pas la patte des amis! 😀
      Bref, ce fut une expérience d’une matinée. 🙂

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