C’est le chemin qui est important

C’est le chemin qui est important.

Je vous dis pas le nombre de fois où ces mots assemblés apparaissent sur les réseaux sociaux, dans des cadres sans âme, signés par des célébrités ou des anonymes, rappelant Lao-Tseu, Goethe ou n’importe qui, souvent dans un but de fourrer un peu plus la locution « développement personnel » laquelle ne signifie souvent rien de plus que « votre argent m’intéresse ».

Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux!

Et oui, sur cette image, c’est le chemin qui prend toute la place.
Et c’est le chemin qui prend toute la place particulièrement grâce au long bout de chemin qui est absent à l’image, celui qui est déjà parcouru.

Vous suivez ?

Depuis quelques temps, je fouille sur la toile du côté du microcosme « cheval » et c’est exactement comme fouiller dans un quelconque microcosme, il y a de tout, du pire, du moins pire, beaucoup de copier-collés et… le dressage de mon moteur de recherche ne permettant pas encore l’accès au « mieux », il faut que je cherche encore.

Car depuis quelques temps, précisément depuis que j’avais prévu d’offrir une balade en ma compagnie à une petite fille, je savais qu’inéluctablement j’allais réveiller un virus endormi.

Tout en le sachant, je me questionnais fort.
Pas vraiment au sujet de « vais-je me souvenir?  » car un cheval offrant un devant et un derrière, il suffit de se poser sur son dos dans le bon sens et hop, il se met en marche.
Je me questionnais à propos d’un autre sens.
A propos du sens que je pouvais trouver pour avancer plus loin à proximité des chevaux.
N’avais-je pas décidé un jour que c’est en liberté qu’ils sont les plus beaux et le mieux respectés?
Ce jour là j’avais décidé de vendre Grand Lama, un pur sang bai réformé des courses et acheté dans les couloirs de l’abattoir, un brave cheval, plutôt doué sur les barres. En sa compagnie après plusieurs mois d’exercices et d’entrainements au concours hippique, j’avais pu vivre la quintessence de la complicité jusqu’à ne plus avoir besoin ni de selle ni de bride pour partir sur son dos et le laisser jouer à sa guise. (1)
Alors évidemment, en posant ces décisions, je ne faisais que danser sur le fil tendu entre mes paradoxes : je vendais un cheval à un cavalier qui allait « l’exploiter » et je gardais pour moi le principe de laisser les chevaux tranquilles. Oups….

Depuis ce jour déjà lointain, les centres équestres se sont multipliés, le nombre des cavaliers aussi et l’élevage des chevaux destinés aux loisirs des citadins, puis à l’équarrissage (terminer à la boucherie n’est plus envisageable) s’est lui aussi agrandi.

Oui, la délicatesse et moi, ça fait deux!
Bis repetita placent.

Car si les chevaux sont réputés « travaillant », en France il existe très peu de travaux utilisant les chevaux pour une quelconque utilité laborieuse.
Les chevaux sont en ultra majorité des animaux produits pour le loisir des loisirants.
Les loisirants cavaliers sont des personnes qui soumettent des animaux qu’ils « vénèrent » à leurs bon vouloir pour… rien.
C’est une sacré aventure contemporaine quand même, non?

Car, oui, remonter à cheval, c’est comme remonter à vélo, il faut sa plier aux obligations de sécurité en cours, il faut mettre un casque.
Car, non, remonter à cheval, c’est pas comme remonter à vélo : un cheval est un animal sensible qui ne demande qu’à brouter jusqu’à la fin de ses jours.

Alors, quel sens donner à cette histoire ?
Pour quelle raison « avoir à nouveau le désir » de monter à cheval ?
Pour me balader avec A. ?
Ok, ça peut rester très ponctuel.
Et puis, d’ici un an ou deux ans elle n’aura vraiment plus aucun goût pour caracoler auprès d’une vieille grand-mère qui préfère le pas au galop débridé.

Comme d’habitude, j’ai donné du mou et laissé les questions se débrouiller entre elles. J’ai changé de sujet tout en tapotant sur la toile pour voir s’il y avait des chevaux qui cherchaient une cavalière aussi bizarre que moi.

Et voilà que j’ai finalement vu apparaitre un cheval d’indien, à moins que ce ne soit un cheval de cirque, un cheval blanc à taches noires, tout à fait assorti à la couleur de ma chevelure, un appaloosa selon le nom de sa race. (noter que pour les animaux, la notion de race demeure…)
Il habite en rase campagne nantaise, chez des particuliers. il vit au pré sans rien demander mais sa propriétaire-cavalière aimerait qu’il se bouge un peu plus que deux fois par semaine, rien d’autre.

Banco !
Donner un coup de main, en voilà un truc sensé !

Et hop, l’affaire fut vite conclue entre les deux parties, le cheval n’avait rien à dire, un peu comme un vélo… donc !

Ce qui est magique, à l’image de ma vie, c’est que dès que je suis sortie seule avec ce cheval, j’ai vu tout ce que m’offre l’horizon.
Et surtout j’ai vu que le potentiel qui s’offre est envisageable seulement parce que le temps est passé, patiemment, parce que j’ai plein d’expériences tellement différentes, parce que je suis tout à fait à la marge, parce que je suis … moi.

Bref, je remonte à cheval.
Le cheval d’une personne qui « aime » son cheval.
Et aussi, je marche à côté de ce cheval et je cours aussi lorsque je lui impose de trotter…
Et je monte,
Et je parle,
Et il écoute.
Le chemin est devant.
Vers plus loin.


(1) Je précise que si ces moments furent le résultat spontané d’une relation très particulière poussée vers ces « jeux » qui n’avaient jamais été proposés en devanture des réseaux sociaux, lesquels n’existaient pas encore. Il ne fut jamais question de « challenge » ni d’exhibition. J’allais voir Grand Lama, généralement au crépuscule, à l’heure où tout s’apaise, je lui disais « on y va », j’ouvrais la barrière, je m’aidais d’une souche pour l’escalader et nous y allions. Où ? Où le vent nous portais, à travers les champs moissonnés. C’était sans aucune autre intention que « nous y allons ». Quand il en avait terminé avec ses expressions de joie, il partait au petit galop quelques foulées, il s’arrêtait, repartait au trot ou au galop, s’arrêtait, broutait un brin et rentrait au petit trot quand il décidait qu’il y aurait plus de nourriture à grappiller « chez nous » que dans la nature aride du coin… C’était fort simple. Je n’imagine pas que ce soit reproductible d’un simple claquement de doigts. Nous l’avons vécu. C’est tout.

5 réflexions sur « C’est le chemin qui est important »

  1. Pierre

    La poésie de tes pas est douce comme un printemps. J’aime tellement ces évasions que tu partages. Merci!

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  2. Frédérique

    Tant d’échos que je ne sais pas où commencer et je crois que, malgré mes efforts, mon commentaire risque d’être totalement décousu ! Tant pis !

    La notion de chemin d’abord… elle est chère à mon cœur, tant j’aime cette image et aussi la notion de passage, d’un état à un autre. Un chemin n’est-il pas fait d’innombrables passages, ne serait-ce que le passage d’une seconde à l’autre, d’un mètre à l’autre, d’un moment à un autre ? Avec la multitude de possibilités qui s’offre à chaque instant, ça devient vertigineux ! Et j’aime énormément ce qui est suggéré par l’image, le chemin parcouru qu’on ne voit pas et pourtant si porteur car sans lui, point d’image, point de « là où je suis ».

    Le cheval et le réveil du virus endormi… quand j’ai vu cette photo sur FB de ta petite-fille et toi, j’ai pensé que, comme moi, tu allais réveiller un virus endormi. Toi sur un cheval fait de chair et de sang, moi sur un cheval fait de métal et d’hydrocarbures. Je vois tellement de similitudes… sur la posture, l’importance de l’allure, le regard, l’adaptation du cavalier / pilote à sa monture. J’ai également débattu sur mes propres paradoxes et les raisons pour lesquelles j’avais mis de côté cette partie de moi. Et je ne regrette pas d’avoir ravivé ce virus. Je peux dire également que, quand je suis seule sur ma moto, j’embrasse tout ce que m’offre l’horizon.

    De même je peux également affirmer « que le potentiel qui s’offre est envisageable seulement parce que le temps est passé [peut-être pas autant que toi… quoique… entre mes derniers tours en deux-roues et les premiers en 2018… peut-être !], patiemment, parce que j’ai plein d’expériences tellement différentes, parce que je suis tout à fait à la marge [je me sens aussi à la marge dans ce milieu très masculin et pour plein d’autres raisons], parce que je suis … moi. »

    Sur le plaisir que j’ai à rouler à moto… pour « rien », car au sens pratique du terme, en balade je fais une boucle en passant par divers points… mais au final je reviens toujours à mon point de départ, sans avoir forcément posé un but précis autre que vivre l’instant et savourer le trajet, seule ou en groupe. Seulement le plaisir est dans le chemin, le partage si on roule à plusieurs, les courbes, les montées, les descentes, les imprévus de la route et les sensations brutes de conduite que l’on ne ressent pas dans le confort d’une voiture. Faut-il parler de l’obligation d’être dans l’instant présent ? Faut-il parler de l’adrénaline ? Et de faire corps avec sa machine, trouver ce dialogue sans mot pour « vivre la quintessence ».

    Bref… tu remontes à cheval et moi je suis remontée sur une moto.

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    1. Joelle Auteur de l’article

      Quel plaisir de lire ces différences et ces similitudes.
      Nous avons aussi le besoin d’adrénaline en commun.
      Et à cheval c’est très particulier car si faire ressentir le bien -être et la décontraction que nous ressentons est indispensable pour devenir complices respectueux (à cheval il n’est question ni de conduite, ni de commandes mais d’aller ensemble et en confiance), les dégoulinades d’adrénalines (dues aux intenses émotions par exemple, lorsqu’elles sont vécues par le cheval à travers son cavalier sont potentiellement dangereuses pour celui-ci, donc à éviter. D’où ce que j’avais partagé en 2005 à travers le texte « Haute Ecole » en adaptant le passage au passage de vie.
      😉

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