1er octobre 1977


Et oui, en ce jour où pendant des années fut célébrée la fille benjamine d’un horloger et d’une dentellière normande (à la tête d’un « fratrie » de neufs filles dont toutes les survivantes finirent au couvent, le couple fut béatifié en 2008) la mode contemporaine célèbre les salades en tout genre.

Et oui, en 1977, une société typiquement américaine décida de promouvoir la vie, de développer joie et compassion en faisant razzia sur la verdure.
Il fallait y penser!

Et aujourd’hui, en ce bel automne 2019, j’ai ouvert ma page FB pour découvrir les ricochets qui font des ronds sur l’eau du grand fleuve des algorithmes mis au monde histoire de pousser les consommateurs à consommer toujours plus.

Entre amusement et irritation, j’ai lu la cohorte des suiveurs émoi et moi et moi.
Et moi, je me suis dit que ça valait bien un petit billet!
Puisque c’est dans l’air du temps, puisqu’il est de bonne guerre de donner son avis même si tout le monde s’en fout, même si personne ne lit.
Car sur FB, connaissez-vous grand monde qui pousse le vice jusqu’à lire ce que racontent chaque passant sous un lien?
« Alors, moi, je … Moi, je… Nous, on… Chez nous c’est… etc, etc… »

Bon, il suffit d’avoir du temps à perdre, non?

Et bien donc, moi, M O I je pose mon avis ici où il dormira aussi longtemps que le site survivra.

Depuis avant 1977, je n’apprécie pas la viande.
Sans doute avais-je dû ingurgiter trop de « bons » steack dans cet après guerre où les parents jugeaient indispensable pour leurs enfant ce dont ils avaient tellement manqué sous l’occupation.
A moins que je n’aie été dégoutée par ce « rouge saignant » qu’on me faisait avaler comme un remède pour me donner des forces l’année de « maladie » où j’en manquais cruellement au long cours.
A moins que ce ne soit la convergence d’une multitude de petits riens qui m’ait entrainée à ne plus jamais inviter la chair des animaux dans mes repas : un certain pacifisme, une pratique sportive intense, une véritable attirance pour la philosophie indienne en faveur de « la libération », un gout revendiqué pour une certaine « originalité », etc.

Jamais?
Pas tout à fait.

Car, si un jour j’ai laissé les chevaux dans leur pré plutôt que de les embêter avec mes exigences de cavalière, si une certaine non-violence me parait indispensable à chaque détour du quotidien, l’observation du monde m’a appris que les idées simples sont fausses, toujours.
En particulier les idées simplement extrêmes.
Refuser d’honorer un repas préparé avec attention en se drapant dans un « désolée, je mange pas de ça » me parait une explosion de violence inouïe à l’encontre d’un hôte. Et, en temps que voyageuse curieuse, aimante des personnes croisées, je n’ai de cesse que d’engranger tout ce qui alimente mon optimisme en agrandissant la bienveillance à laquelle j’aspire.

Il y a quelques semaines, traversant un village d’Auvergne en fin d’après-midi, j’ai vu devant moi un homme qui portait une brassée d’herbe pour ses lapins. J’allais dans sa direction, mon sac sur le dos, les pensées vagabondes. J’avais grappillé des raisins sur une treille, ramassé une pomme tombée et j’étais riche de bon pain et de fromage local. Mais en cette fin de journée estivale, je n’aurai pas craché sur quelques tomates de jardin, sur quelque salade moins « sauvage » que celle des pissenlits ou de la mauve dont je faisais bombance en chemin.
Alors que j’arrivais à la hauteur de l’homme et que je le saluais, il arrivait devant chez lui.
« Avez-vous besoin d’eau? » me proposa t-il, enchainant avec la sempiternelle question au sujet du chemin que je parcourais.
Et nous avons parlé.
Et il a rempli ma gourde.
Et sa femme est sortie regarder ce qui se passait, interpellée par cette soudaine animation devant sa porte.
Alors, le bonhomme s’est éclipsé sur un « attendez, je reviens » qui laissais pressentir qu’il allait me donner un « truc ».
Je rêvais encore de tomates, de ces tomates que je voyais derrières les grillages des potagers bien entretenus, de ces tomates qui me faisaient saliver en souvenir de celles que j’avais abandonné dans mon jardin nantais.
Alors, le bonhomme est ressorti. Sur sa main bien a plat, il me présentait une belle tranche de lard qu’il venait de couper.
« C’est du bon, c’est moi qui le fabrique. J’ai mis une seule tranche, ça vous fera pour ce soir, j’en mets pas plus car avec cette chaleur « ça » va pas se conserver »
Il souriait de ce sourire étoilé qui nait du don.
je l’ai remercié, du fond du coeur. J’ai soigneusement rangé le trésor et la marche m’a reprise.

Une fois ma tente montée, une fois glissée dans mon duvet, comme chaque soir, j’ai entrepris de me nourrir. J’ai gardé le fromage pour le lendemain et j’ai fait bombance avec le lard.

Ce soir là, je me suis nourrie de bonté, de générosité et d’un sourire plein d’étoiles.
Et c’était juste délicieux.

Une réflexion sur « 1er octobre 1977 »

  1. Frédérique

    J’adore ! J’adore vraiment !

    Souvenir d’enfance de parents qui n’ont pourtant pas vécu les privations de la guerre (ou alors au tout début de leur petite enfance) : « finis au moins ta viande ». Je crois que c’était vraiment ancré dans la société. Acheter de la viande était aussi le signe qu’on pouvait se le permettre. Et je me souviens des recommandations de l’OMS : 100 grammes de viande par jour. LOL ! Autres temps, autres moeurs.

    Depuis 2011, je ne mange plus de chair morte d’animaux. Pourquoi ? me demande-t-on souvent. Comme toi, une certaine attirance vers une philosophie de vie. Dire que tu m’as influencée est également vrai : le périple à Fuerte m’a montré que moi, qui appréciais la viande, pouvait vivre sans et même randonner sans les précieuses protéines carnées (même si à l’époque j’avais commencé à réduire drastiquement la consommation). Mais surtout, un jour, je me suis dit : je n’arriverais jamais à tuer de mes mains un animal pour le manger. Donc je n’en mange plus. Peut-être en serais-je capable si la nécessité fait que c’est lui ou moi, et alors là, j’en mangerais. Bref… dans notre société d’abondance, je n’ai pas/plus besoin de manger de la viande. Point.

    J’adore « « désolée, je mange pas de ça » me parait une explosion de violence inouïe à l’encontre d’un hôte ». Parce qu’il est vrai que refuser un plat préparé avec soin et dans le plaisir de faire plaisir ou honneur est violent. Pour éviter cela, j’essaie de prévenir à l’avance. Ou de demander à être servie uniquement de légumes si cela est possible. Et sinon… je fais une exception. Ainsi m’est-il arrivée d’en faire chez de très bons amis, que nous n’avions pas vus depuis longtemps et qui ne savaient pas que j’avais changé de régime alimentaire.

    Il reste que je suis friande de certaines douceurs réunionnaises… celles-ci sont carnées. C’est le seul impair carnivore que je m’autorise consciemment (et il est suffisamment rare pour que mon régime n’en souffre pas) : cela ne le rend que plus délectable 🙂 Tu m’avais dit que c’était chouette de vivre sans dogme et libre. J’avais beaucoup aimé 🙂

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