Recette, un point de vue actuel

Cette année, enfants et petits enfants avaient prévu de coloniser mon univers le temps du matin de Noël.

Il me fallait trouver un fil conducteur pour inventer un « brunch de Noël ».

Il est bien probable que l’âge de mes petits-enfants y fut pour quelque chose, des souvenirs et des saveurs d’enfance sont venues titiller mes papilles, une folle envie de re-goûter certaines pâtisseries familiales fit surface.

Il fallait trouver des recettes.

(A noter la lointaine étymologie de ce mot « recette » puisée dans le latin « recipere » c’est à dire recevoir…)

Pour les contenir, j’avais en stock tous les « bons moules » d’origine, c’est une histoire de famille, nous sommes conservateurs pour certaines choses importantes à nos yeux.
Il restait à définir les ingrédients à mélanger, donc à trouver sur la toile les images qui correspondaient aux souvenirs qui titillaient mes papilles.
Pour deux recettes, ce fut facile.
Pour celle du « gâteau aux noisettes de Noël de mon enfance », ce fut une autre histoire.
Malgré la perfection des moteurs de recherche, sans me souvenir du nom précis de ce gâteau là, je n’ai pas réussi à trouver autre chose qu’une image approchante.
J’ai fait appel à mon frère qui fut incapable de trouver chez notre mère un papier portant le titre « gâteau aux noisettes ».
Je me suis donc contentée de l’image approchante trouvée sur la toile et j’ai rempli le moule ancestral avec le mélange indiqué pour le plus grand bonheur des « testeurs » du jour J.

C’est après les fêtes que me trouvant en compagnie de mon frère chez maman, nous avons sorti le dossiers « recettes » pour regarder à nouveau.
« Tu vois, il n’y a pas de gâteau aux noisettes, j’ai déjà récupéré la recette du gâteau marbré mais c’est tout… »
Et têtue, je lui ai pris le dossier des mains, j’ai tournée les feuilles volantes une à une et j’ai trouvé LA recette, comprenant au même instant comment il avait été impossible de trouver « gâteau aux noisettes » puisqu’il n’y avait que « rehruken »!

Mais le plus merveilleux fut le souffle tourbillonnant qui emporta mes pensées, les faisant danser, funambules étoilées sur un fil tendu entre si loin et aujourd’hui, ouvrant sur un plus loin que mon imagination est incapable de mettre en dessin animé bien qu’elle le pressente intensément.

J’avais entre les mains une carte de mécanographie datant des années 50 (avant de nous donner naissance, maman travaillait dans un service de mécanographie et comme certains récupèrent aujourd’hui des rames de papier au bureau, elle récupérait ces cartes multicolores et chiffrées qui ont enchanté mes bricolages enfantins)
Bleue sur orange, je touchais avec émotion l’écriture de mon père.
Me revenait en trombe l’image du fourneau à bois de la maison d’Alsace où il avait passé ses vacances, la même maison dans laquelle j’avais débarqué du haut de l’âge de ma petite-fille aujourd’hui.
Je sentais sur mes joues froidies par l’hiver de l’est, la chaleur moite de la cuisine en pleine activité et un bouquet odorant assaillaient mes narines, odeur d’épices, des pâtisseries saupoudrées de sucre glace, du bois qui flambe, du ragout qui mijote, et en arrière plan le relent de la cave-garde-manger jouxtant la cuisine, la cave et son exhalaison de terre à chaque ouverture de porte, la cave où s’amoncelaient les salaisons, les viandes fumées, les pommes de terres et les bouteilles de vin empoussiérées comme autant de trésors assurant la réussite de la fête.
J’entendais la voix et l’accent chantant de la grand-tante expliquant à maman, que là, maintenant le mélange pâteux était juste parfait, que non, elle ne sait pas quelle quantité de farine elle a mis, que « ça se voit », que « ça se sent quand c’est bon ». Et elle rajoutait une bonne rasade de schnaps, et elle pétrissait avec ses grosses mains, rouges et brillantes de beurre, et elle finissait toujours par nous mettre dehors, elle avait tant à faire, elle seule « savait » faire.

En découvrant sur cette carte, bleue sur orange, l’écriture de mon père, je l’imaginais demandant la recette de ce gâteau à sa mère puisqu’elle savait elle aussi le faire, tenant la recette de sa soeur qui la tenait de sa mère. Je l’imaginais, mon père mandaté par ma mère, exigeant des quantités un tantinet précises et j’imaginais ma grand-mère essayer d’évaluer des quantités à mettre en mémoire.

Et voilà que des années plus tard, j’avais en main, cette carte dont les collègues servaient en particulier « de fichiers historiques » lors des balbutiement de l’informatique. Je me disais qu’aujourd’hui les cartes mémoires aux circuit microscopiques imprimés en 3D n’auraient probablement pas autant de charmes dans un jour lointain.

Et mes yeux s’attardèrent sur « une heure à surveiller, à four moyen » et ravie, je savais que je savais déjà tout ça, que je l’ai reçu il y a longtemps, que je le cultive avec attention, que la réussite c’est autre chose que les chiffres appliqués, parce que tout dépend toujours du vent, des conditions météorologiques, des éléments à dispositions et des outils dont je dispose.

J’ai cuit un nouveau mélange adapté de cette recette retrouvée et nous l’avons partagé lors d’un thé avec les enfants.

Et je l’ai cuit une fois de plus avant hier, y ajoutant la couche de chocolat que j’avais vu ma grand-tante y ajouter un lointain jour de l’Avent des années 60.

Et nous l’avons partagé… au coeur de Nantes… tandis que la perception lointaine d’un bruissement d’hélicoptère racontait le chahut dans la ville.

4 réflexions sur « Recette, un point de vue actuel »

  1. KaMaïa

    Cette recette, ce billet et ce gâteau furent et sont savoureux !

    Je ne suis pas certaine de t’avoir exprimé combien j’étais touchée du soin que tu avais pris de nous, de cette nourriture qui a fait de nous (de nouveau) des compagnonnes (oui je suis allée vérifier, le terme existe, à ma surprise 🙂 ) c’est à dire celles qui partagent leur pain. Qui plus est un pain que tu avais pris soin de confectionner, pour nous.
    J’ai savouré ce don que tu nous faisais mais je ne sais pas si j’ai pris le temps de t’en remercier comme je l’aurais voulu. Honorer ce qu’on vous offre est parfois difficile, accepter le don, le don sans arrières-pensées, sans contrepartie, c’est complexe.

    Je me souviens d’une balade dans les vignes, un jour sombre de ma vie où, au débotté, tu étais venue à mon secours. Je me souviens de ces quelques grappes oubliées sur un cep, le raisin cueilli à deux et toi qui m’a tendu cette grappe en me disant « laisse-toi offrir » alors que je m’obstinais à cueillir moi-même mon goûter.
    Laisse. Toi. Offrir.

    Je me suis laissé offrir ces grains ce jour-là, ils m’ont nourrie de bien plus de manières que simplement les croquer.

    Je me laisse régulièrement offrir depuis ce jour, il y a 8 ou 10 ans, avec chaque fois une pensée pour toi car me laisser offrir n’est pas une attitude naturelle pour moi.

    Et samedi je me suis laissée offrir avec joie et reconnaissance ce merveilleux gâteau. Délicieux par le goût tout autant que délicieux par son histoire.
    Merci de les avoir partagés avec nous, et cela m’évoque un autre livre de recettes dont je parlerai sur mon espace dès que j’aurai le temps de composer ce récit.

    Sais-tu combien tu m’es précieuse…? Je t’embrasse fort.

    1. Joelle Auteur de l’article

      Merci à toi pour ce commentaire qui me touche. Je suis d’ailleurs et dans cette circonstance précise assez heureuse de savoir mon site plutôt confidentiel, ainsi pas grand monde ne lira!

      Et puis, je suis ravie de constater que mes propos ne sont pas pris pour vérité, je suis ravie de lire des mots tels que « je suis allée vérifier », oui, je suis une chercheuse de sources et si d’autres s’y mettent, j’adore l’idée.

      Enfin, je suis allée regarder la lexicographie de « précieuse » afin de trouver des pistes d’interprétation pour ta dernière ligne, ceci avant de poser mes mots en écho de ce que j’ai reçu là.
      Evidemment aucune interprétation de ma part ne peut raconter ce qui est exprimé par Toi.
      Je peux simplement renvoyer la balle, chargée de mon point de vue : si une quelconque valeur devait être associée à ma personne, elle devrait l’être à ce « don » que personne n’a réussi à éteindre, à ce don qui m’habite par la grâce de je ne sais quoi et qui fait que « quelque chose » passe à travers mes propos et peut-être à travers « moi-je ». Et en vérité, ce qui réellement devient précieux dans l’affaire, c’est ce « quelque chose » qui te parvient et dont il est possible de faire « autre chose ».
      🙂
      Avec le coeur

      1. KaMaïa

        Alea jacta est ! J’étais en train de rédiger une réponse que je n’ai pas terminée et pouf, j’ai cliqué sur je ne sais quelle touche et tout a disparu. Ou pas ! Je le saurai si demain, mon commentaire apparait.
        Je viendrai alors le compléter !

        Commentaire instantané et dans le texte 😉 Et oui, j’ai ce pouvoir! 😀
        Héhéhé!
        Ca m’arrive super souvent et chaque fois, je me dis que la copie était à revoir, histoire de positiver avec le sourire les aléas de la toile qui nous entraine parfois plus vite que nous le souhaitons 😉

      2. KaMaïa

        J’avoue que je n’étais pas allée vérifier la définition de précieuse, le mot m’étant venu spontanément et dans un sens qui est évidemment celui que j’entendais.
        De fait, parmi cette masse de définitions je retiens pour clarifier ces deux là :
        – Qui nous est très cher.
        − Qui est très utile, très apprécié, voire irremplaçable. (enfin sur celle-ci, je retiendrais les deux derniers qualificatifs en fait)

        Quand tu parles de « don », moi j’entends « quelque chose qui est transmis »… « Laisse. Toi. Offrir » et oui c’est une transmission à mes yeux. La question de savoir si pour toi, ce que tu donnes, est la même chose que ce que je reçois est peut-être un mystère. Surtout qu’on n’en a jamais parlé avant ! 😀
        Mais outre que j’adore quand tu racontes (quoi que tu racontes d’ailleurs), tu as cette place à part pour moi de toujours m’amener à m’interroger moi-même, à être rigoureuse dans l’élaboration de ma pensée, mes opinions, de chercher du sens en cela tu m’es irremplaçable et appréciée, parfois diversement quand je me torture les méninges à essayer de comprendre (com-prendre !) ce que tu veux dire ou ce que je veux dire pour l’exprimer le mieux possible.
        Car il n’est pas toujours confortable, dans le sens « où l’on se sent à l’aise », de dialoguer avec toi (et je me demande parfois si ça ne t’amuse pas énormément en fait ! 🙂 ) parce que cette exigence du mot juste, de la pensée clarifiée que tu fais naitre chez moi est parfois un vrai défi-à-moi-même mais c’est finalement ainsi que je finis par y arriver, que j’y sois clairement poussée par tes questions ou tes commentaires ou que j’y aille de mon propre chef et que je finisse, dans un dernier effort, par accoucher de la raison du fondement de mes pensées LOL !
        Nos quelques dialogues avortés de mon fait, ne l’ont pas été par refus de poursuivre mais tout simplement parce que cela nécessitait de ma part un tel effort de clarification de mes pensées (très confuses sur ce sujet qui plus est !) que je n’avais pas la possibilité de le fournir là-maintenant. Mais je n’oublie pas, il y a comme une petite ampoule allumée dans mon cerveau depuis, et l’envie de continuer, un jour…

        Et puis par-dessus tout, tu m’es chère dans le sens où je t’aime très fort tout simplement.

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