Voilà un chemin que mes pas suivent et suivent à nouveau sans jamais se lasser.
Je l’appelle le chemin des asphodèles peut-être par analogie avec la « plaine des asphodèles » , peut-être parce que c’est un poème, une méditation sans but ni objet, une ballade inlassablement fascinante.
Si je suis pressée, je boucle la boucle en moins d’une heure.
Si rien ne presse, j’avance de détours en détours.
C’est un livre écrit très fin.
Depuis des années, j’en tourne obstinément les pages, diaphanes comme de papier bible, sans être capable d’y retrouver ni un chapitre, ni un vers à l’endroit où je pensais l’avoir enregistré.
Je le déroule dans un sens en partant du pont des forges ou dans l’autre en commençant au moulin.
Forges et moulins ont disparus depuis longtemps mais ni les trépidations des groupes déboulant accrochés à leur bâtons, ni la patience des pêcheurs chasseurs de vifs n’effacent leurs traces quand je passe, dans ces heures creuses où ma solitude est reine de l’espace.
Sur ce chemin se mêle la vie des hommes à celle de la nature.
Ici une fontaine capte une source sur le chemin ancestral de Nantes à Rennes.
Là, resté planté sur le bord du chemin, un châtaignier presque millénaire qui ne demande rien.
Il a probablement tendu ses fruits aux passants de longues années durant et ces derniers temps, il est affublé d’une pancarte. Comment ne pas sourire en pensant à ceux qui cliquent un selfie devant la plaque ?
Il est clair que l’arbre n’est qu’un arbre.
Plus loin quelques ruines racontent la persistance de l’impermanence.
Ici le labeur fut de rigueur durant des siècles, puis l’industrie a invité le travail jusqu’à fournir des boulets aux esclaves, la farine a tout recouvert de blanc jusqu’à ce que le feu ne gagne et que ne sévisse l’abandon, jusqu’à ce que le souvenir l’emporte, déposant ça et là un barbecue ou une pancarte.
L’avenir est encore à vivre.
Hier, j’avais quartier libre et le soleil était au rendez-vous.
J’ai rencontré la très clandestine en robe blanche alors que je ne l’attendais pas.
Au détour d’un arc du rivage, un noir cormoran tout trempé décolla à grand bruit, estompant le frisson majestueux d’un grand héron en vol.
J’ai écouté pousser les jonquilles transperçant le tapis automnal, deviné la place des asphodèles, caressé la grande consoude encore minuscule, humé l’air clair se reflétant de tout son bleu sur l’eau sombre. Puis j’ai poussé jusqu’au pavage hérité d’un temps plus lointain encore que celui de la naissance du châtaignier du bord du chemin.
Là où l’ornière est dessinée, j’ai entendu le grincement des charrettes et la voix des hommes jurant de jurons d’autrefois.
Les nuages voilaient déjà l’astre déclinant, il fut temps de rejoindre mes pénates.
Je hâtais le pas, toutes pensées dissoutes.
Et tandis qu’au dessus de ma tête la hâte des automobilistes me ramenait à l’instant présent, je notais à quel point la connaissance est indispensable à la reconnaissance.