Ainsi poésie est ce qui crée en même temps sa possibilité et son impossibilité qui ne seraient pas si elles n’étaient simultanées.
Marc Cholodenko, La poésie la vie, P.O.L. éditeur, 1994, ISBN 2-86744-404-7
Ayant décidé de la durée de la contrainte, je me sentais plus légère.
En marchant sans trop trainer, une petite heure était nécessaire pour arriver à proximité de la plage d’Hookipa, pas de quoi occuper toute une journée : il fallait donc que j’aille plus loin.
Je suis partie sous le bleu du ciel qui résistait malgré l’avancée d’Hector, le « tropical storm », et alors même que la couleur du ciel annoncée par windguru était définitivement grise.
J’en étais au troisième passage lent sur ce même parcours et de fait, j’avais en tête chaque détail avec une idée très précise du timing qui me faisait passer de l’un à l’autre.
Il faut bien avouer que la route n’est pas le meilleur endroit pour s’envoler. Il vaut mieux garder une certaine attention sur la circulation.
La plupart des voitures sont de gros « pick-up » qui déplacent pas mal d’air et dont le roulage des pneus à sculptures profondes est assez bruyant : même absorbée par les pensées en goguette, il est assez acrobatique de faire complètement abstraction de l’environnement « à moteur ».
Ma patience fut donc mise à l’épreuve et sans attendre l’arrivée sur Païa, j’ai bifurqué en direction de la plage dès que l’occasion s’est présentée.
Plage déserte.
Non, pas tout à fait.
Le rocher qui paraissait, affleurant le sable était en réalité une tortue se prélassant.
Après l’avoir contournée, j’ai longé la côté, escaladé les rochers, empilé des cailloux, puis visé plus loin encore, sauté de pierre en pierre pour éviter les vagues et ce jusqu’à ce qu’il soit impossible d’avancer davantage.
Le vent s’était levé fort.
Le ciel devenait obscur
Un crachin microscopique envahissait l’air.
La tortue était toujours au même endroit.
Je me suis assise dans un creux de sable, entre les racines des arbres et je l’ai observée, attendant un mouvement.
Les vagues du lagon venaient jouer avec ses nageoires sans la troubler.
Quand l’eau montait un peu plus haut, allant jusqu’à lui recouvrir les narines, elle ouvrait les yeux, levait la tête et reposait la tête.
C’était l’heure de la sieste, visiblement et visiblement une sieste de tortue est un moment sacré!
J’ai fait tout le chemin retour sous l’humidité.
Au passage des voitures, un chuintement montait, culminait lorsque me frappait une bourrasque vaporisée d’eau et s’effaçait dans la grisaille.
La pluie accumulée sur la visière de ma casquette s’écoulait en grosse gouttes tombant sporadiquement devant mes yeux.
Hookipa était dévenu un véritable spot de windsurf où les gars s’en donnaient à coeur joie.
La vagounette des jours précédents, celle où les papas poussaient leurs bambins, s’était déplacée vers le large et elle avait tellement enflé que seuls quelques surfeurs chevronnés jouaient sur son dos.
Le spectacle était magnifique.
Et bien que les conditions ne soient pas monstrueuses, il devenait facile de comprendre la présence des nombreuses croix plantées le long des rochers pour rappeler le souvenir de ceux que l’océan avait gardé.
J’étais trempée jusqu’au os en arrivant à l’abri.
Comme il est d’usage dans ces conditions, j’ai filé sous la douche!