Les fleurs coupées


Hier, j’ai reçu un bouquet de fleurs coupées, un bouquet de fleuriste.
Les fleuristes sont à chaque coin de rue, mettant un arc en ciel de couleurs forcées dans la grisaille citadine.
Les fleurs « artificielles » sont bien réelles, élevées en nombre parfois à des milliers de kilomètres, envoyées par brassées dans des marchés de gros, entassées dans des seaux afin de contenir leur soif. Leur sort est réglé d’avance, de même que leur stérilité, elle seront finalement  jetées sans considération.

« Wahoooo, c’était pas la peine » ai-je dit comme « ça se fait » en recevant la gerbe craquante de papier cristal.
Et je me suis empressée de rajouter comme pour me convaincre qu’il n’y avait pas d’autre issue:
« J’aime les fleurs, merci » presque rougissante de tant d’hypocrisie polie.

Oui, il m’arrive de confectionner des bouquets quand le jardin regorge de fleurs.
C’est un luxe offert par le jardin, aucune plante n’est sacrifiée. C’est presque un cérémonial que d’aller choisir les fleurs qui passeront au salon plutôt que de rester cachées à mon regard en attendant d’être passées.

Je vais pas en écrire des tonnes, ni raconter l’époque révolue où il était aimable d’apporter une brassée de fleurs du jardin et un cake maison en se rendant à une invitation.
Ces attentions d’un charme désuet étaient propres à la classe manoeuvrière à laquelle j’appartenais, une classe sociale qui se dirigeait déjà vers la moyenne en rêvant de grandeur et de luxe et de bouquets magnifiques comme « dans les châteaux »!
L’iconographie était réduite à l’époque.
Il y avait pour rêver des bouquets « de château » et des bouquets japonais bien trop exotiques pour paraître « beaux » au yeux des braves gens.
Non, je vais m’abstenir d’en écrire des tonnes…

Ce billet vient par là, parce que j’ai reçu un bouquet de fleuriste hier.
Ce billet vient par là parce que l’image  (et la sensation) de « fleurs coupée d’origine indéterminée » est revenue plusieurs fois dans la semaine passée et encore hier soir dans un commentaire ici-même.
Parce que la quête de sens, indispensable pour « aller plus loin », entraine facilement notre société de consommation à s’abreuver à l’eau du vase plutôt qu’à la source.
C’est plus simple, plus rapide et tellement moins complexe que de se relier à l’expérience, aux racines bien ancrées, aux cycles immémoriaux de la nature.
De fait, dans notre hâte, il est fréquent de tomber en admiration devant une fleur « artificielle » coupée de son histoire, d’en prendre soin aussi longtemps qu’elle ne flétrit point, puis de la jeter lorsqu’une autre nous tend les bras.
Il en va de nos certitudes parfois et des affirmations qui en découlent.
C’est une réalité tellement contemporaine.
Nous sommes inondés d’informations, de propositions, de philosophies prêtes à porter et de tant de tentations, nous sommes environnés par tant de modes éclectiques que nous nous trouvons tou(te)s et chacun(e)s bien souvent déconnecté(e)s de nos racines, du « bon » sens et de la réalité impermanente qui forgent notre présent.

3 réflexions sur « Les fleurs coupées »

  1. Joelle Auteur de l’article

    Hé, hé, douce Marie, il va falloir que fasse une photo de reflets afin de pouvoir publier un billet que j’ai sous le coude à ce sujet.
    Echos, reflets…
    Je les cherche, je les provoque.
    Grâce à la distorsion des ondes, j’expérimente le monde et petit à petit je le comprends, toujours mieux et plus loin.
    Que ce commentaire tellement à ton image me touche!
    Merci, voici les mots d’une véritable terrienne pleine de bon sens.
    Oui, tu as raison, lorsque j’ai ouvert la porte sur cette femme et son fils qui venaient m’honorer un bouquet à la main, j’ai vu leurs yeux qui brillaient et le plaisir qu’ils avaient à me faire cette douce surprise. Et, ça coule de source, j’en fus émue. Et ça coule de source aussi, des mots banaux sont sortis parce que l’émotion passe par dessus les paroles toutes faites et parce que la vie en société impose un code relationnel. Etre conscient du décalage entre bienséance et bousculade de pensées profondes fait intégralement partie de chacun des instants de ma vie. 🙂

    Un jour je rédigerai peut-être un billet au sujet des artistes fleuristes, ces personnes qui « aiment » les fleurs et sont capables de réaliser un bouquet « oeuvre d’art » sur mesure et sous mes yeux, pour mon plaisir, pour ma fascination, pour que je puisse ensuite l’offrir…
    Parce que oui, il m’arrive d’offrir des fleurs coupées, des chocolats, du vin et autres peccadilles « quineserventàrien », démonstratives d’un gout assuré pour la grâce donnée à un éphémère superflu absolument indispensable.
    Il n’en reste pas moins que l’histoire de la fleur cultivée extensivement pour être coupée, puis ramassée comme une marchandise puis vendue et mise à la poubelle… persiste, donnant vie à moult métaphores que je ne cesse d’utiliser en illustration de mes réflexions ici déposées 😉

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    1. Marie

      Oui, je sais que cette image , couper pour jeter est une métaphore que tu aimes 😉 c’est toute la différence des fleurs cultivées en grand pour le plaisir de l’ un ou de l’ autre, et les champs de blé ou les rizières… Tous, pourtant visent une rentabilité qui n’en enrichit qu’un, tout en faisant plaisir à d’autres. 😉

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  2. Marie

    Ce bouquet, il était offert de bon cœur, certainement.
    Les lys martagon oranges ne poussent pas partout, il faut un sol alcalin, de l’ombre un partie de la journée, ils sortent plutôt en mai dans le midi.
    Évidement, si tu sais que c’est un bouquet  » acheté pour montrer qu’on peut offrir des fleurs qui ne sont pas du jardin », tes invités étaient mal partis dans leur relation avec toi! 😉
    Mais s’ils ont choisi ces fleurs là, c’est certainement pour t’entourer…
    Offrir un bouquet de fleurs oranges, c’est transmettre un vœu sincère de partage, de bonheur, d’amitié.

    Et connais-tu la fleuriste, toi qui dis qu’il y en a partout?

    Près de chez nous, au Mesnil, il y a eu plusieurs fleuristes en trente ans.
    Les deux premières aimaient leurs fleurs. Les suivantes vendaient des pots dans lesquels les fleurs coupées étaient plantées, sans amour, ça sautait aux yeux.
    J’ai bien connu la seconde chez laquelle je prenais les plantes qu’on offrait lors des cérémonies, des orchidées mais aussi des roses baccarat ou blanche à la tige très longue pour un soliflore de 50cm de haut qui m’avait été offert avec amour.
    Des fleurs qui ne poussaient pas dans les jardin, ou des tulipes blanches qui duraient une semaine.
    Ça se sentait, elle les aimait: les pots regorgeaient de boutons, les roses étaient abordables pour ne pas  » mourir non vendues », et elle prenait commande la veille pour ne pas avoir un stock de fleurs coupées inutiles…
    Les fleuristes permettent à ceux qui n’ont pas de jardin, de s’offrir le luxe d’un bouquet qui ne soit pas volé dans les fleurs de la Mairie, les quelles sont régulièrement jetées lors des renouvellements: en passant au bon moment on peut si on a un jardin, ou une jardinière, en reprendre quelques plans.
    Seulement, les fleurs coupées sont soignées, et pour plaire ET pour NE PAS TACHER.
    Que tu l’ai réalisé ou non, te connaissant, c’est cela qui ne t’auras pas plu dans ce joli bouquet… on a enlevé les étamines…
    Et si en le dépapillotant tu ne t’es pas tachée de ce rouge rouille indélébile bien connu de ceux qui les prennent à leur jardin, c’est un plus quand on reçoit de ne pas arriver de la cuisine le bouquet dans un vase à la main, l’avant bras tout moucheté!
    Oui mais? ce bouquet ne fait plus naturel.

    Ces fleurs que tu n’aimes pas voir coupées, font parfois auparavant des champs superbes…
    il y a par ici, ( en Vaucluse cette fois) un champ de tulipes qui chaque année vaut le déplacement
    une partie à couper, une partie culture d’oignons à replanter…
    il y a aussi des champs de lavandes ( cultivées, archi cultivées… ) qui couvrent les fond des vallées, et le flanc des collines. et des champs de rosiers vers Nîmes… etc.
    En tout cas, j’en connais une ( 😉 ) qui il y a des lustres, mettait des lampes pour éclairer son hibiscus afin qu’il fleurisse, dans son tout petit appartement de la rue de Tolbiac faute de soleil!
    Et qui est également souvent allée prendre chez sa petite fleuriste du Mesnil des fleurs à offrir ou non: je faisais mes propres bouquets pour ne pas couper les nôtres, si belles sur pied…
    Oui… je vais te décevoir: quand j’habitais la région parisienne, j’aimais les bouquets de fleurs: ils sentent généralement délicieusement bon dans la maison, ils doublaient de volume devant la glace du salon, et j’en faisais trois avec un offert, ajoutant des feuillages, du chèvrefeuille ou des roses presque sauvages du jardin. ;-).
    a chaque lieu ses habitudes…
    A Rouret, c’est superflu, le mistral se charge de couper (casser) les fleurs pour nous, et les bouquets parfois très farfelus suivent et les saisons et la volonté du vent!
    C’est une autre façon de voir un bouquet, la vie qui se prolonge grâce à de l’eau… 😉

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