Un cerisier en fin de vie sauvagement abattu
D’après les voisins, un CAT de type louche stationnait dans le coin depuis quelques jours.
Ce matin à 10h30 précises, un vrombissement a résonné dans l’impasse.
Sous les yeux de la voisine dépitée, après avoir avalé en deux coups de godets le vieux mur au pied duquel des marguerites avaient élu domicile, le monstre s’est dirigé droit sur le pauvre vieux cerisier.
Après lui avoir arraché les branches, il s’est attaqué au tronc et l’a déraciné sans plus attendre.
Le vieux cerisier a résisté un instant.
Le monstre s’est cabré, a repris son souffle et l’a achevé.
Il l’a ensuite chargé à bord d’un camion.
A l’heure qu’il est personne ne sait où il l’a emporté.
Au delà du fait divers,
Je me suis questionnée au sujet de l’émotion qui, un instant, me submergea.
Ce cerisier était mon voisin depuis que j’habite ici.
Avant d’habiter dans le coin, c’est lui qui marquait le bout de l’impasse et je le saluais en arrivant chez la grand-mère qui nous a légué la maison.
Souvent, à l’ombre du cerisier, une autre grand-mère jardinait, désherbant ici, agitant la belle terre noir là, arrachant quelques pommes de terre plus loin. Elle portait un grand tablier bleu et le chapeau de paille qui allait avec.
Ce jardin voisin avait toute une histoire que je connais.
Combien de fois ai-je écris que le jardin est un livre ouvert?
Aujourd’hui encore je peux le répéter à qui voudrait l’entendre.
J’ai eu besoin de sortir, d’aller marcher pour reprendre pied et trouver réponse à quelques questions.
Il est clair que c’est la rapidité de l’intervention qui m’a troublée. Que cet arbre ait eu plus de cinquante ans de vie, peut-être soixante dix, que vaillamment il ait fleuri à chaque printemps, offrant ses fruits dorés chaque été et que moins de deux minutes aient suffi à l’anéantir dépasse l’entendement basiquement humain du fond de mes tripes.
Quiconque aurait eu à l’abattre de ses mains aurait dû y consacrer des heures et des heures et encore davantage pour extraire les racines.
Combien parlent de combat? Combien, dans de multiples domaines, souhaitent d’utopiques combats « à armes égales »?
Le jardin est un livre ouvert, un livre de philosophie, un livre de vraie vie, j’aime tant l’observer, même les jours comme aujourd’hui où l’émotion est intense.
Le silence est revenu.
Une odeur de terre fraichement remuée flotte à coté de l’odeur des mousses arrachées, du lichen déchiqueté et du gas-oil consommé.
Le silence?
Que nenni.
Les oiseaux sont là par dizaine, ils sont en train de faire bombance : un festin leur est offert.
Un festin de laves et de lombrics.
Et chantent les oiseaux et va la vie!
C’est le printemps!
Ca a dû être violent, tant la rapidité du nettoyage que le lien brisé immédiatement et irrémédiablement entre toi et cet arbre avec lequel tu avais noué un lien depuis des années.
Je suis désolée, vraiment et je compatis.
Il y a aussi le fait que ton « paysage » va changer, une maison va se construire là où avant il y avait une extension de ton jardin, ça va sûrement être du changement. Et même si on est sereine et dans le lâcher-prise par rapport aux vagues de la vie et ce qu’elles déposent avec la marée sur notre grève personnelle, ça ne doit quand même pas être simple, ce changement et cet inconnu à venir. ! Je sais que je vois tout ça avec mes yeux et non les tiens, hein, mais bref, je pense à toi.
Bises
Et merci de compatir.
M E R C I
Tout va bien. J’avais, tu t’en doutes, consulté le permis de construire, prête à bondir au moindre manquement à la loi. Du coup, le projet est devenu connu, acceptable et accepté avant même de voir le jour. Je suis ravie d’avoir si longtemps profité de cet espace sauvage et tout aussi ravie de ne plus avoir à l’entretenir. Nous sommes quittes. C’est juste.
J’ai ployé sous la tornade (la violence de l’attaque… pour laquelle aucun préavis d’alerte rouge n’avait été émis), elle est passée, quelques larmes ont effacé la poussière, elle est loin et je suis debout et heureuse et paisible.
Les « bouts de bois » que j’ai gardé vont devenir objets sculptés et je suis déjà dans l’imagination de leur création et c’est vraiment enthousiasmant à l’image d’une petite gestation.
J’aime voir les changements, le monde qui bouge, c’est la vie qui va, qui bat et j’aime la vie vivante, tu sais ça!
🙂
Ainsi va la ville. Ainsi va la vie.
Nous avons fait abattre deux arbres sur le terrain. Un frêne à moitié mort, certainement de plusieurs dizaines d’années. Un aulne penchait dangereusement. L’aulne a fait des rejets, qui grandissent joyeusement.
Et comme cet article tombe à pic, voilà que nous avons une demande de la mairie pour élaguer un chêne (âge ? 30 ans ? plus ? je n’ai pas pensé à demander à ceux qui connaissent) en bord de route, dont les branches pourraient menacer les fils téléphoniques. Des élagueurs ont été invités à estimer le montant des travaux. L’un d’entre eux insiste pour abattre l’arbre : il y a des galeries de capricornes dit-il. Certes, c’est vrai, je constate des trous dans l’écorce. Mais j’hésite. D’une part parce que cet arbre est d’un âge respectable. D’autre part parce que les chênes sont censés être des essences très résistantes. Je préfèrerais tenter un insecticide, quitte à prendre quelque chose d’agressif (i.e. chimique) :-/ et donner sa chance à cet arbre plutôt que la solution radicale de la tronçonneuse. Car si cela se trouve, ces galeries existent depuis longtemps ! Qui sait ! Je n’ai jamais regardé de près… Internet me dit que l’arbre est condamné à terme. D’accord, mais j’aime à imaginer ce que les arbres vénérables ont pu « voir ». Et puis, ne sommes-nous pas tous condamnés à terme ?
Oui, la vie des arbres « domestiques » est soumise à celle des personnes qui en prennent soin (ou non).
Je pense qu’il faut éviter de confondre « arbre domestique » et « arbre sauvage ».
Les fruitiers principalement qui sont juchés sur un porte-greffe, bichonnés depuis leur plus tendre enfance puis mis en terre par les bons soins d’un jardinier : rien à voir avec un arbre poussant spontanément dans une forêt ou un bosquet.
Il n’en demeure pas moins qu’un arbre, fut-il domestique vit dans un temps long, survit souvent à la personne qui l’a planté. Le cerisier en question, fut certainement planté après guerre, lorsque le quartier s’est construit.
Il était en fin de vie, ça se voyait.
En lisant ce qui arrive à tes arbres, je précise qu’ici, il s’agissait d’autre chose que d’un simple abattage.
Il s’agissait de nettoyer la place, de déraciner, d’arracher, de faire quasi-instantanément disparaitre…
Réellement, ce qui fut émotionnant, ce fut cet assaut sauvage, rapide, sans sommation, brutal, inesthétique, à grand coup de godet sur les branches, puis sur le tronc, le tordant de manière affreuse, pliant les fibres dans d’horribles craquements… Bref.
L’émotion de voir disparaitre ce vénérable voisin eut été très différente si j’avais connu le jour fatal, si un bucheron s’en était occupé, s’il avait été débité avec « humanité », avec tout le temps nécessaire, un temps long, forcément long du fait de son diamètre et de la force des racines bien ancrées.
Et pourtant le conducteur de l’engin est un homme charmant, tellement gentil, le genre de gars qui ne ferait pas de mal à une mouche, réellement adorable. Mais il fait son job, il monte dans son engin et il « nettoie », le plus vite et les plus efficacement possible… C’est son boulot! Je le respecte.
Un tel spectacle, c’est un flot puissant qui m’assaille, avec des vagues qui déferlent dans tous les sens, qui s’entrechoquent et montent d’autant plus.
Et puis, inexorablement la tempête passe.
Et puis, la suite prend place, d’abord les oiseaux gourmands et l’inconnu à venir que je vais observer passionnément 😉
Je comprends la brutalité de l’assaut 🙁
Pour beaucoup, ce n’était « qu’un arbre ». Un arbre, ça ne parle pas, ça ne bouge pas, ça n’éprouve rien. C’est un arbre, point. Alors, pourquoi prendre des pincettes ? Surtout s’il y avait d’autres tâches à faire par la suite pour cet homme… plus vite c’est fait, mieux c’est.
Est-ce parce que j’aime les arbres que je les vois différemment ? Un arbre parle peut-être, mais au-delà des mots, dans un langage d’arbre. Je suis certaine que les arbres éprouvent des choses : certains s’attirent, d’autres se repoussent. Il doit y avoir une raison 🙂
Bref. J’ai peut-être trop regardé Avatar…
Je ne sais toujours pas comment aider mon chêne… :-/ Il me faudra prendre une décision, avant que la mairie ne la prenne à ma place…
🙂
La raison n’est jamais très raisonnable !
Et si tu demandais à ton chêne ce qu’il en pense?
Les humains sont bien souvent plus extrémistes que la nature qui les entoure, je veux dire qu’ils sont terriblement binaires sur l’air de « tout ou rien ».
Il y a toujours une solution moins pire qu’une autre et dès l’instant où rien ne presse vraiment, elle peut voir le jour tranquillement 🙂