Une jolie petite histoire.
Tandis que l’agitation se poursuit inlassablement au sujet des méthodes d’enseignement, au sujet d’une utopique égalité de chances pour un avenir inconnu, au sujet de tout, de rien, tandis que laborieusement je marche sur un chemin pour lequel aucun « mode d’emploi » n’existe, tandis que le temps passe inexorablement, une jolie petite histoire vient de s’ajouter à ma collection expérimentale.
Au printemps dernier, tandis que quelques orchidées sauvages persistaient dans la garrigue, au prix d’un lever avant l’aube, des amis m’avaient entrainé à la découverte du réveil des oiseaux sur le grand delta de Camargue.
Ornithologues passionnés, ils n’avaient de cesse que de partager leur passion.
Il y avait un oiseaux qu’ils désiraient vraiment me montrer, un oiseaux nouveau venu en Camargue, un oiseau gracieux au reflet métallique remarquable : l’ibis falcinelle.
Toute la journée je les ai suivis dans leur quête.
En les suivant, j’ai fait connaissance avec des oiseaux que je n’avais jamais vu, j’ai identifié des vocalisations que je n’avais jamais remarquées.
Admirative de l’érudition de « F », je me sentais plus que jamais totalement ignorante, j’étais comme une gamine qui écoute attentivement, parfois lassée devant l’abondance d’informations, souvent interrogative, doutant terriblement de ma capacité à retenir une once de tout ce qui m’était donné là.
Il y a quelques jours, nous étions au fond d’une vallée verdoyante, une vallée invisible pour qui traverse en voiture le plateau caillouteux et aride qui mène à la plage.
Il y avait un ruisseau, il y avait de minuscules étangs, il y avait un silence retentissant et il y avait des oiseaux, beaucoup d’oiseaux.
Un couple de tadornes décolla devant nous à grand coups de klaxon comme à leur habitude.
C’est alors qu’en les suivant des yeux, levant la tête vers le chemin de ciel ouvert entre les vertigineuses parois, un ibis entra dans mon champ de vision.
Un ibis ? La courbe de son bec me le suggérait, mais ne suis-je pas du genre ignare en ornithologie ? Rien n’était moins certain.
Et c’était d’autant moins certain que l’oiseau n’est pas répertorié dans le coin, ça je le savais pour avoir fait un rapide tour d’horizon de la faune locale sur la toile !
Le soleil déclinait, il était temps de sortir de cette vallée, temps de retourner dans le monde des gens et de penser au choix du resto pour le soir.
C’est alors qu’au bord d’une mare, j’ai aperçu un oiseau noir.
Avec la distance, il était impossible de l’identifier.
Délicatement j’essayais de gratter un mètre, imaginant déjà en gratter un suivant, puis encore un.
Las… ma présence devait résonner intensément de vibrations insupportables, l’oiseau s’envola en compagnie des échasses qui étaient à ses côté.
Alors que mon compagnon photographiait en salve, je n’avais plus aucun doute sur le nom de l’oiseau noir.
Je sautais comme un enfant excité : c’est un ibis ! C’est un ibis falcinelle, un plegadis falcinellus, un ibis comme j’ai vu avec « F », j’en suis certaine ! C’est un ibis !
Ceux et celles qui me connaissent et eux seuls peuvent imaginer le niveau de mon excitation et la capacité à répéter qui est alors générée !
Dès notre retour à la maison, j’ai partagé la petite histoire à mes amis ornithologues. J’avais besoin d’une confirmation et d’un regard avisé sur les images captées au vol.
Et j’ai senti la complicité qui existait, le frétillement de l’émerveillement et la jubilation concomitante.
C’est une jolie histoire concluait l’amie, « F » est heureux de constater ce qu’il t’a appris…
Le lendemain, en repassant les événements, je suis partie dans une de mes habituelles digressions.
« F » est un brillant professeur. Il enseigne dans de prestigieuses universités, à quelques illustres spécialistes. Aujourd’hui partiellement retiré, il reste enseignant et garde l’habitude d’évaluer « ses étudiants » !
Je souriais à cette idée et immédiatement, je pensais à toutes ces « recettes » qui circulent afin d’améliorer les « conditions d’enseignement ».
Car précisément, il n’en existe aucune.
Il en existe d’autant moins que nous sommes actuellement englués par l’idée qu’il faut un « enseignement utile », que tout apprentissage doit avoir un but et que le but le plus « normal » consiste à « gagner de l’argent ». Je sais, c’est un peu abrupt… Un billet n’est pas un bouquin et doit demeurer « pas trop long » aussi dois-je faire court !
J’ai toujours été plutôt mauvaise élève, me contentant d’empocher les différents grades et permis indispensables à la reconnaissance sociétale, incapable de disserter comme « il faut » et surtout pas capable de le faire « parce que c’est comme ça un point c’est tout ».
Par contre, enregistrer la passion des autres, admirer leur savoir, m’imprégner à leur côté, grappiller les informations pour le plaisir de découvrir, c’est plutôt mon truc.
Et finalement, je vois ce que j’ai appris à voir.
Et c’est vraiment grisant.
Et quand mon compagnon voit un corbeau noir, je vois un ibis… parce que je sais que cet oiseau existe.
Et quand mon compagnon me fait répéter « Comment tu dis ? Fraxinel ? », j’épelle tranquillement f.a.l.c.i.n.e.l.l.u.s, parce que c’est comme ça.
Partager les connaissances accumulées au cours d’une vie est une aspiration simple, se nourrir est aussi simple.
Inutile de se lancer dans des recettes alambiquées, il suffit de proximité, de respect, d’admiration et il suffit surtout et avant tout d’avoir faim.
Et la faim, c’est très très personnel.
Le gavage n’est-il pas une méthode de production de graisse, sans le moindre regard sur l’appétit spontané des animaux qui y sont soumis ?