Vendredi 22 septembre, étape 22


« 
« Maintenant, je suis libre. »
Paul avait dit ces mots et Idaho, surpris par le son de sa voix, venait de les répéter. »
Frank Hébert, Dune I, livre quatrième, le Messie de Dune, 1965, traduit de l’américain par Michel Demuth, 1970, 1972, Editions Robert Laffont, ISNB 978-2-221-00164-6

Avec ces étapes super courtes (entre 4 et 5 heures de marche), mon temps de sommeil profond était super court lui aussi.
L’adaptation quasi immédiate du corps à la charge d’exercice proposée est un sujet d’enchantement dont je ne me lasse jamais.
Peu de sommeil, et donc plein de temps confortablement allongée, bien au chaud dans un duvet douillet, seule dans un petit dortoir avec vue sur le ciel.
Le grand luxe!

L’expérience du gite de randonnée était plaisante, d’autant plus que j’avais ma tente, donc un véritable choix possible. Ce fut la découverte de l’année. je ne connaissais pas l’existence de ces gites très bon marché en France. Peut-être est-ce une spécialité de certaines régions? Je n’avais rien remarqué de tel sur le sentier cathare… Mais je sais si fort que les yeux ne voient que ce qu’ils connaissent et seulement quand c’est important de le voir!

L’air était humide lorsque je suis partie, la question de mettre ou ne pas mettre la cape de pluie était entière et sans réponse satisfaisante.
Le chemin suivait la rivière.
Une rivière à l’eau turquoise et vive, sautant de marche en marche entre les blocs de grès roses.
C’était somptueux.
Inévitablement, il a fallu que je m’approche, que je rentre dans le lit, que j’empile des cailloux dans le courant, c’était irrésistible. Je devais honorer ce paysage si beau en le touchant, en touchant ce grès, cette eau.

Les deux randonneurs passèrent, ils étaient partis un peu plus tard.
Intrigués par mon manège, ils s’empressèrent de le mettre en boite avant de reprendre la route.
La rivière était joueuse, le courant s’associa au moment d’inattention consécutif au passage des compagnons pour mettre à bas le début de mon édifice. Qu’à cela ne tienne, j’ai recommencé!

J’ai rattrapé les gars au début de l’ascension du jour. Une fille qui cheminait dans le même sens que nous, fila à l’instant même où j’entrai dans la grotte devant laquelle il s’émerveillaient.
Je pensais vraiment qu’ils marchaient plus vite que moi, ils étaient aguerris, bien équipés et en forme.
Et bien, en fait, j’étais sur leurs talons à tel point qu’ils m’ont cédé le passage sur le périlleux sentier où on ne peux poser qu’un pied devant l’autre.
Ensuite, j’ai rattrapé la fille.
Certes, deux jeunes hommes qui grimpaient en courant étaient « hors concours », mais dans ma catégorie, j’étais finalement plutôt rapide. Les gars avaient raisons quand ils avaient affirmé que j’allais plus vite qu’eux.
C’est amusant d’avoir ainsi des « points de repère », en liberté, sans tension aucune.
Pour modérer l’affaire, je dirais que mon sac n’avait jamais été aussi léger, non pas que j’aie enlevé quoi que ce soit, non… Peut-être était-il apprivoisé, à moins que mon esprit libéré de plein de doutes ne le sente plus du tout.
Je ne sais pas.

Après « tout ce monde » il y a eu « plus personne » et ce jusqu’à l’approche d’Ainhoa, le terme prévu pour ce jour.
Du sommet des crêtes, l’océan était perceptible de manière certaine et j’entrais dans une région aux noms déjà connus.
Ainhoa, par exemple fleurait bon le pain d’épice, un délicieux pain d’épices que je ne manque pas de rapporter en souvenir lorsque je « descends » pour profiter de ce qu’offre la région en matière d’océan.

Avant d’y arriver, j’ai fait une belle halte près d’une source. L’eau avait un goût minéral assez ferreux et je ne fus guère étonnée de trouver en aval l’entrée d’anciennes galeries minières.

Puis, dans la brume se dessina le site du calvaire. Quelle découverte!
C’est un plaisir incommensurable que de « tomber » sur certains paysages remarquables sans connaitre préalablement leur existence.
Je sais que je répète, mais chaque fois, je me félicite de voyager sans avoir « reconnu » ou préparé le chemin. Ainsi les surprises sont magiques, toujours.
Voir de très loin trois croix s’élever sur la colline est assez commun tant les calvaires sont nombreux au pays basque, distinguer ensuite les petits chevaux qui broutent à proximité fait encore partie de l’iconographie locale, mais découvrir que le calvaire (1898) est déclinée de manière très réaliste, qu’une multitude de stèles traditionnelles (2001) le précèdent pour créer une scène tout à fait extra-ordinaire fut juste un grand moment.
Et puis, ce fut l’occasion d’une nouvelle salve de questions qui devaient attendre mon retour à Nantes. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’explore grâce à des textes comme celui-ci par exemple.
Voyager, c’est aussi « ça »!

Il restait à descendre le chemin de croix, cette idée m’amusait du simple fait de l’agencement des mots qui la composait.

L’arrivée dans le village me prépara à rentrer dans le monde tant j’ai eu l’impression de débarquer en pleine ville. C’était l’heure d’affluence touristique maximale. Les « anciens » en vadrouille, qu’ils soient espagnols ou français étaient partout, dans le moindre interstice, dans la moindre ruelle, agglutinés dans les boutiques, en grappes dans le micro-cimetière, en file vers le parking des cars.

Fermant toutes les écoutilles de mes sens, j’ai foncé en direction du gite dont j’avais entendu tant d’éloges.
Il était « trop tôt », mais le propriétaire me communiqua aimablement le code afin que je puisse m’installer. Deux autres randonneurs devaient arriver… je me doutais un peu de leur identité.
Le gite, très petit est effectivement très bien aménagé, très accueillant.
Sur la table de la cuisine, un livre avait été abandonné, un livre de Christian Bobin qui avait échappé à ma collection. Je me réjouissais par avance de pouvoir le lire.

Ayant déposé sac et bâton pour marquer mon territoire, je fus motivée pour un aller-retour « en ville ». En fait j’avais envie de faire goûter l’exceptionnel pain d’épices local à ceux avec qui j’allais partager la nuitée.
Ils étaient arrivés à mon retour.
Ensemble, nous avons goûté.
Puis, je me suis installée au soleil revenu pour me plonger dans la lecture.

La soirée fut ce genre de soirée qui laisse une empreinte subtile et enchanteresse.
Comme j’aime l’expliquer, elle était de la qualité de ces moments où « être ensemble » signifie quelque chose. Ces moments qui se gardent au fond de l’âme et pour lesquels j’ai proposé cette conclusion : « Il est impossible de partager réellement quoi que ce soit, mais nous avons en commun le secret de cette soirée ; nous garderons la trace du plaisir que nous avons pris à échanger nos idées, en même temps, chacun de notre côté, chacun à notre manière, chacun habitant sa parole. »
C’est indescriptible et seuls ceux qui l’ont vécu savent de quoi il est question.

La nuit fut douce.
J’avais prévu d’arriver à la plage le dimanche à midi.
Les prévisions météorologiques étaient rayonnantes.

A suivre…

5 réflexions sur « Vendredi 22 septembre, étape 22 »

  1. Frédérique

    Mmmmm ! Un billet qui commence avec une citation de Dune, une oeuvre de SF qui a longtemps été une de mes préférées 🙂

    Découverte de ce billet : le pain d’épices d’Ainhoa dont j’ignorais l’existence ! La description que tu en fais a affolé mes papilles et stimulé l’imagination de ma gourmandise 🙂

    D’ailleurs, bien des gourmandises émaillent ce billet, entre le pain d’épices, Christian Bobin et cette charmante soirée !

    Une question : « Il restait à descendre le chemin de croix, cette idée m’amusait du simple fait de l’agencement des mots qui la composait. ». J’avoue ne pas avoir compris, en quoi l’agencement est-il amusant ?

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    1. Joelle Auteur de l’article

      Ah… Dune… Impossible de le voir sans souvenirs très très précis! 🙂

      Le chemin de croix… 😉 Tu me connais un peu… J’ai consciencieusement descendu ce chemin de croix, avec curiosité.
      « Normalement » un chemin de croix se MONTE, station, par station et c’est le sommet qui constitue l’objectif des personnes qui « montent »… C’était quasi surréaliste d’avoir « ça » en tête et de la retourner sous toutes les coutures! 😀

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      1. Frédérique

        J’imagine bien 🙂
        Mais là où ça monte, il faut bien que ça descende (ça, c’est d’une logique imparable :-D)
        Et puis, descendre le chemin de croix, cela va très bien avec « Le très bas ». Tout s’agence parfaitement.

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  2. AYGALENT Jean Paul

    commentaire de l’un des randonneurs:
    Saint Etienne de Baïgorry et Ainhoa sont deux étapes du GR 10 qui resteront longtemps dans nos mémoires.
    Les paysages du Pays Basques sont effectivement aussi somptueux que Joëlle les décrit. Mais les rencontres au cours de ces haltes dans les gîtes et les repas sont toujours des moments très intéressants que ce soit avec les champignons ou le pain d’épice. Mais ces moments deviennent particulièrement agréables, forts et riches lorsque Joëlle est là.
    Merci pour ta compagnie au cours de ces deux repas et désormais, nous ne ne regarderons plus les cairns à l’équilibre incertain, sans avoir une pensée pour toi.

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    1. Joelle Auteur de l’article

      Oh… Merci!
      Tu étais dans mes pensées pas plus tard que dans la fin de l’après-midi. J’ai trouvé une place dans une activité bénévole, une place qui me ressemble et à laquelle je peux donner un sens, et… tu n’y es pas étranger!
      J’aime penser que nous habitons sous le même ciel et que nos chemins peuvent se croiser à nouveau.
      Belle soirée à toi et aux tiens et un bonjour à « l’autre randonneur » 🙂

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