Lundi 18 septembre, étape 19

« Je n’ai compris le sens de ses propos ou de ses paraboles qu’après qu’il ne fut plus parmi nous. Je ne les ai pas compris, jusqu’à ce que ses mots aient pris forme devant mes yeux et l’apparence de corps qui marchent dans le cortège de mon propre jour »
Khalil Gibran, Jésus fils de l’homme (Jesus the Son of Man, première édition 1928), traduit de l’anglais par Thierry Gillyboeuf, Editions  Mille et une nuits, 2008, ISBN 978-2-75550-050-9

L’humidité était partout.
Elle s’élevait du sol et tombait du ciel.

A la différence de notre climat breton si souvent moqué, la pluie basque s’accroche aux montagnes, le vent n’a pas l’énergie suffisante pour aller la dénicher dans les moindre recoins, c’est ainsi que l’herbe est grasse et que, lorsque le soleil, apparait les couleurs rayonnent, resplendissantes à nulles autres pareilles!

Dans la cuisine coquette, les plaques à induction voisinent avec le four à bois.
Le petit déjeuné était prêt : pain, beurre, confiture, café.
Le maitre de maison était déjà au boulot, la dernière des filles se préparait pour aller au lycée, à Saint-Jean.
Sa mère m’avait prévenue :  « le « ptit déj » c’est avant 8h30 ou après 9h30, j’emmène ma fille au lycée, ça lui évite le car scolaire! »
J’étais descendue assez tôt, décidée à préparer mon sac seulement après, espérant que la pluie cesse d’ici là.
Nous avons à nouveau bavardé de tout et de rien. Comme d’habitude, j’essayais d’en connaitre davantage au sujet de la vie dans les vallées, au sujet du quotidien des familles, des habitudes et des traditions persistantes.
Quand, rassasiée je me suis levée de table, une question a débarqué sans que je m’y attende :
« Est-ce qu’il vous faut un tampon? »
Sous l’effet de la surprise j’ai répondu :
« Un tampon???? Pour quoi faire?
– Les pèlerins me demandent de tamponner leur « crédentiale », ils ne partiraient pas sans tampon.
J’avais, en effet déjà entendu ce mot là ‘crédentiale », je l’avais aussi croisé lors de lectures.
– Ah, oui… C’est donc vous qui tamponnez?
– Oui
– Et, il y a quoi sur votre tampon?
– Il y a le dessin d’un mouton comme la brebis que vous avez vu hier!
Elle souriait.
– Ok, d’accord… Ben… oui, je suis pas pèlerin, donc… j’en ai pas besoin, merci d’y avoir pensé. »

Et je suis sortie.

J’avais mes affaires à ranger et mon sac à faire.
J’ai traîné autant que je pouvais, à un point tel que la maîtresse des lieux était de retour lorsque j’étais prête à partir.
Passant une fois de plus devant la belle porte d’entrée rouge vif, j’ai frappé. L’inspiration était inattendue, elle était née dans l’instant.
Amusée par l’histoire de tampon, sensible à l’idée de garder un souvenir de la brebis qui m’avait attirée à l’abri, j’avais changé d’avis.

« Excusez-moi de vous déranger encore, j’ai réfléchi. J’ai pas de crédentiale, mais j’aimerai bien un coup de tampon sur le carnet où j’écris les souvenirs.
Est-ce que c’est possible? »
J’avais soudain l’impression de demander la lune. Un tampon destiné à décorer un carnet de la valeur d’une crédentiale était-il compatible avec un simple carnet de notes?
« Oui, oui, aucun problème »
Et toujours souriante, elle s’échappa un instant pour revenir avec le tampon et l’encreur rouge pétant.
Et hop, mon carnet fut décoré en un tour de main.
J’étais ravie.
C’est alors que j’ai remarqué l’étonnant bâton accroché au dessus du buffet.
« C’est beau, dis-je en le montrant du doigt, qu’est-ce que c’est?
– un makhila, un bâton basque, il y a un fabriquant pas loin, vous allez passer juste devant.
N’hésitez pas à visiter, ils vous expliqueront tout. Il y avait leur carte dans le gite, vous n’avez pas vu? »
J’avais vu la carte, mais ignorant tout du « makhila » j’avais davantage pensé à un « truc » de l’artisanat fantaisie sans imaginer un seul instant un artisanat traditionnel et exceptionnel.

J’ai finalement décollé, sans me retourner et me promettant d’aller visiter cet atelier.

Pas très loin, trois filles ont débouché devant mes pas.
LES trois filles!
Et j’ai appris qu’elles « faisaient le chemin » jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, une chemin de trois jours « pour voir » en attendant mieux. L’autre jour, toutes fringantes pour leur premier jour, elles étaient parties du « mauvais » côté!
Le temps d’élucider ces rencontres successives, l’atelier de makhila était là. Les filles ont poursuivi pendant que j’allais m’instruire.

Ce fut un grand et magnifique moment.
Une heure plus tard, je ressortais. un sourire flottait certainement sur mes lèvres.
J’avais aimé l’histoire de ce bâton basque, j’avais apprécié la manière qu’avaient ces artisans d’en parler. Déjà une quantité de métaphores voyageaient dans mon esprit prompt à fabriquer des films. Je pensais à l’ami basque… Savait-il « tout ça »? Avait-il « son » makhila? Je voyais dans ce bâton autant d’enseignements que dans une bibliothèque spécialisée en philosophie…
J’aurais vraiment été heureuse de partager tout ce qui apparaissait et prenait sens après cette heure passée dans l’atelier.
Au fil des kilomètres, la dilution a opéré, d’autres pensées ont émergées.
La passion est pareille à l’océan, des vagues vont et viennent, grandissent, déferlent et disparaissent.

Et puis, LES filles sont à nouveau entrées dans mon champ de vision.
C’était dans une belle côte.
La plus jeune semblait en perdition.
La plus vieille la soutenait tandis que la plus vaillante caracolait une centaine de mètres à l’avant.
Ayant trouvé la boulangerie fermée, elles n’avaient pas grand chose dans le ventre depuis la veille.
Je les ai « secouru » avec quelques amandes et de la vitamine C. La pause fut bénéfique, elles ont finalement sorti leur petit réchaud et préparé ce qui leur restait en stock : des assiettes-portion. Les voyant déballer leur sac, je fus estomaquée en constatant la présence de pots en verre et d’une multitude de « trucs » super lourds que jamais je n’aurai eu la moindre intention d’emporter dans mon sac à dos. Je les ai laissé à leur pique-nique.

A nouveau seule, j’ai continué en direction de la vallée.
Je n’avais pas faim.

Sans guide ni « topo » spécifique, ni aucune « app » sous le nez, je me régale toujours des découvertes qui arrivent « à la bonne heure » sans me faire cogiter à l’avance.
Là, ce qui arrivait, c’est le GR 65!
Et entre la présence du GR 65 et la proximité de Saint-Jean, il y avait d’un coup un paquet de « pélerins » en goguette.
D’où étaient-ils partis?
Où avaient-il l’intention d’aller?
Quelle était leur réelle envie de marcher à pieds?
Tout ça je l’ignorais.
Ce que je voyais, c’était des gens de tout âge allant tous dans le même sens.
Je n’en avais jamais vu autant.
C’était vraiment surprenant.
Quand j’ai décidé de m’asseoir au bistrot de Saint-Jean-Le-Vieux pour boire un thé chaud et manger un sandwich, je les ai observé passer.
Ils avaient tous un bâton, ils portaient tous une cape de pluie noire.
Ils passaient tels des fantômes sous la pluie.

D’un coup, j’ai eu envie d’avoir une cape de pluie couleur arc en ciel, j’ai eu envie de ne pas avoir ni bâton de marche, ni sac à dos, de n’être pas du tout semblable à « eux ». Il y avait quelque chose de pathétique qui m’atteignait à leur passage. Je sais pas quoi. je ne savais pas encore.

Remarquablement, lorsque j’ai repris mon chemin après m’être restaurée, je me suis égarée, j’ai quitté « le » chemin sur plusieurs kilomètres, fonçant vers la montagne, attirée peut-être vers ce qui n’appartient qu’à moi.
Je suis finalement arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port par une voie de traverse. Devant la porte Saint-Jacques, les trois filles étaient là, surprises de me voir arriver au même instant qu’elles qui étaient si loin derrière!
C’était drôle.
A leur demande, je les ai photographiées toutes les trois sous l’arche qui marquait la fin de leur périple de trois jours.

Il me restait à trouver où crécher.
L’hôtel était trop chic et hors de prix.
Le camping était proche mais trop excentré, je voulais rester dans cette ambiance pélerinesque  étrange, j’avais envie de sentir, de comprendre, d’expérimenter.
Il restait les « gites/refuges pour pèlerins ».
Tous ceux qui me semblaient accueillants était déjà remplis, sans avoir réservé d’avance, la partie était perdue d’avance.
Il ne restait qu’une chance : « Allez voir au n°21, ils ont toujours de la place »

Et c’est ainsi que je suis entrée dans le monde formidable du « pèlerinage ».

En premier, histoire certainement de prouver que je n’étais pas là pour squatter, il fallait montrer patte blanche :
« Alooooors… Donne-moi ta crédentiale.
– Heuuuu… Vous savez, je suis un peu rebelle, j’en ai pas!
– Oui, je vois, je suis aussi un peu transgressif, mais… tu comprends…
– Oui, oui, mais en fait, j’ai mon carnet de notes! »
Agacée par le tutoiement appuyé, je lui mettais sous le nez le beau tampon rouge glané le matin même, trônant sur la page encore presque vierge du petit carnet bleu.
Pas folle, je tenais fort le carnet afin qu’il ne se paie pas le luxe de le feuilletter.
Il fut rassuré, satisfait et planta son tampon sur la page d’en face!
Ouf.
Il ne restait plus qu’à payer comptant.

J’avais tout à apprendre, tout à comprendre, tout à découvrir.
En quelques instants, j’allais rentrer dans un monde parallèle.
Histoire de vraiment expérimenter, je décidai alors de « faire », dès le lendemain matin, le chemin vers Roncevaux. De le « faire » à côté de ceux qui étaient là pour le faire vraiment.
J’étais une gamine joueuse qui se lançait dans un « voyage en terre inconnue ».

Et le voyage commença dès mon entrée dans le dortoir.

A suivre…

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