Produire, écrire, donner un sens

Hier, dans la soirée la question de l’art fut abordée.
L’amie d’une amie se défendait avec véhémence de ne rien comprendre aux oeuvres contemporaines.
A cette femme qui concluait sa diatribe avec « Je suis peut-être pas moderne » ; j’ai tenté d’expliquer ce qu’on pouvait comprendre sous le mot « art ».
J’ai tenté de parler d’émotion.

L’émotion est émotion, peu importe dans quel sens.

Ce matin, je secouais dans tous les sens une citation copiée par une autre amie sur son mur d’un célèbre « réseau social »:

« Peut-être à l’écriture ne sert-elle qu’à se trouver un interlocuteur pour soi-même.
Quand on est petit, on cherche une richesse de la vie et on convoque beaucoup sa propre imagination, ce qui rend la vie plus intéressante, plus supportable, plus compréhensible. Mais moi, en tant qu’adulte, si j’écris ce n’est pas tant pour chercher à être publié que pour me trouver un interlocuteur;
je dois confier ce que j’ai senti à quelqu’un.
Dans la vie tellement rare de trouver quelqu’un avec qui parler, avec qui partager ses convictions. Alors j’ai besoin de me forger un interlocuteur à travers l’écriture et à force j’en ai pris l’habitude. » (Gao Xingjan, au plus près du réel)

La route se déroulait tranquillement, quasi en pilote automatique tant j’avais l’esprit accaparé par mes préoccupations vis à vis du sens que je donne à tous les mots qui s’envolent sur la toile.

Etant arrivée à un passage de vie où je me sens moins sachante que jamais, n’ayant aucune obligation financière à donner le change et à produire pour produire, étant incapable de rentrer dans un quelconque cadre, je me demande souvent ce qui me pousse à écrire « en public » alors que « ça ne sert absolument à rien ».
En pensant à la citation de Gao Xingian, force était de reconnaitre que l’idée d’un interlocuteur imaginaire était présente. Et je pouvais même ajouter que c’est en pensant à l’interlocuteur potentiel que je tourne les mots, que j’ajuste les phrases, que même, je choisis les illustrations.

La réalité me dit pourtant qu’il n’existe pas d’interlocuteur.
Je pose mes mots.
Ils sont si peu lus.
C’est qu’il y a tant de production,
C’est que le monde est si vaste,
C’est que la toile est tellement ouverte.
Qui a le temps?
Si peu.

Je le comprends tellement.

Quand il ne s’agit plus de produire les articles microcosmiques obligés, quand publier est une expérience dont je suis revenue, quand écrire est cependant un impératif viscéral, comment ne pas peiner à trouver un sens raisonnable et raisonné au façonnage des mots ?
J’en arrive systématiquement à la conclusion que nous « devons » écrire « pour rien », parce qu’il faut poser « noir sur blanc » des assemblages parfois simples, parfois alambiqués, mais toujours assez inutiles, sauf à encombrer les archives.

Car, les « artistes » peuvent nous raconter ce qu’ils veulent, il y a toujours un point de départ, un moment après lequel il se mettent à produire pour produire, parce qu’ils ont été reconnus pour une oeuvre qui « rapporte ».

De mon point de vue la notion d’artiste est toujours associée à la notion de monnaie sonnante et trébuchante à la clef, quoiqu’ils nous racontent.

Tout ce que nous pouvons « faire », nous le vulgum pecus, n’est jamais que loisir infini.

Et dans ce monde où la notion de « travail » est portée au pinacle, je cherche un sens à mes errances, je me cherche, je me cherche encore.
J’ai besoin d’un sens pour aller plus loin.
Et le sens nait des autres.

La route se déroulait tranquillement, quasi en pilote automatique tant j’avais l’esprit accaparé par mes préoccupations vis à vis du sens que je donne à tous les mots qui s’envolent sur la toile.

Et d’un coup mon oreille se connecta à la radio qui susurrait depuis le départ. Et d’un coup, j’entendais ça : https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/christian-boltanski-etre-artiste-cest-aussi-une-maniere-de-guerir

Et que disait cet artiste là?
Il disait que la puissance de l’artiste consiste à produire une oeuvre dans laquelle tout le monde peu se reconnaitre, il disait que l’artiste est un miroir.

Je dois avouer qu’il n’usurpe pas sa stature d’artiste. Je me suis reconnue dans maintes de ses affirmations… Sauf que je suis beaucoup trop pragmatique pour oublier que je suis moi, inconnue et non artiste, donc sans spectateurs, sans interlocuteurs.

Et c’est parce que…

Sans doute…

J’ai toujours besoin d’être libre, parce que je reste insoumise et hors cadre, « loisirante » inclassable.

Ceci est une non-conclusion, un point de continuation, en somme!

Quelle aventure!

2 réflexions sur « Produire, écrire, donner un sens »

    1. Joelle Auteur de l’article

      E X A C T E M E N T
      Et en parlant d’étagères, j’ai fait un grand ménage hier, les livres invendus partent au pilon ce matin, ils vont tranquillement retourner à l’état de pâte à papier, la roue tourne. 🙂
      C’est une manière d’explorer la notion de « gratuité qui n’existe pas », de poursuivre la quête de sens par l’expérience et d’avancer plus loin, plus légère que jamais… 🙂
      Bref, c’est encore et toujours faire de l’expérimentation la meilleure base pour penser, réfléchir et habiter la vie.

      Répondre

Répondre à Joelle Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *