Les sens de l’être (4)

posture parfaite

J’espère que vous êtes assis, confortablement installés, dans une parfaite posture pour aborder la suite.

On raconte qu’il y a très, très longtemps, bien avant l’an zéro de notre calendrier ou peut être après, un recueil vit le jour, oeuvre d’un certain Patanjali dont la réalité reste très indéterminée.
Gardons à l’esprit que dans les temps très anciens, les contes et traditions se propageaient et se conservaient principalement grâce à la transmission orale. L’écriture n’étant pas enseignée au commun des mortels, quand il s’agissait de transcrire, l’écrivain (c’est à dire celui qui traçait des signes sur un support) était certes (par définition) un gratte papier, mais aussi un érudit. De fait durant des siècles, les manuscrits étaient des oeuvres communes où chaque écrivain pouvait dans une certaine mesure laisser passer son propre point de vue.
Dans ce recueil, d’après ce qui se dit aujourd’hui encore, ne figurait qu’une suite d’énoncés moraux, lesquels puisaient dans la fresque du « Chant du Bienheureux » une compilation des « règles » prescrites à Arjuna par Krishna.
Dans la mythologie indienne, Krishna est une facette, un reflet de Brahman. Brahman, c’est la réalité infinie, omniprésente, omnipotente, incorporelle, transcendante et immanente.
De fait, Krishna avait une mission : guider Arjuna afin qu’il puisse mettre en oeuvre tout ce qui était nécessaire pour atteindre ce fameux état indéfinissable qui s’appelle « Brahman ».
Vaste programme.

La première traduction du « Chant du Bienheureux » du sanscrit vers une langue occidentale date de 1785. Ce fut l’oeuvre d’un anglais : Charles Wilkins, orientaliste, employé civil à la Compagnie des Indes au Bengale. En 1826, l’allemand Wilhelm Von Humbold tentait à son tour une traduction en y ajoutant ses propres commentaires, insistant particulièrement sur la signification morale du poème. La première traduction française date de 1846.

La traduction la plus courante des énoncés de Patanjali remonte, elle, à 1914. Elle est l’oeuvre de J.H.Woods publiée sous le titre : « The Yoga-System of Patanjali ».

En 1962, Mircéa Eliade (historien des religions, mythologue, philosophe et romancier roumain) est agé de 55 ans lorsqu’il publie en français « Patanjali et le yoga ». Bien qu’il n’ait jamais cessé de publier, cet ouvrage est le dernier, entièrement dédié au yoga, qu’il écrivit. Son premier essai au sujet de la mystique indienne datait de 1936, rédigé en langue roumaine.
Les travaux de Mircéa Eliade (1907-1986), ceux du spécialiste de l’Inde Jean Filliozat (1906-1982) et ceux de l’indianiste musicologue Alain Danielou (1907-1994) sont ceux qui servent de références françaises à de nombreuses publications actuelles.

Un fait est certain, plus le temps passe plus le passé s’éloigne.

Si le mot « posture » figure dans les énoncés de Patanjali (II- 46,47,48), aucune description n’est jamais donnée.
Mircea Eliade écrivait « Dans l’Inde, le yoga a été intégré et valorisé par tous les mouvements religieux, hindouistes aussi bien qu’ « hérétiques ». Les divers Yoga syncrétistes de l’Inde moderne constituent encore une preuve que l’expérience religieuse indienne exige comme une nécessité les méthodes yogiques de « meditation » et de « concentration ». Car le Yoga a fini par absorber et intégrer toutes sortes de techniques spirituelles et mystiques, des plus élémentaires aux plus complexes. Le nom générique de yogins designe aussi bien les saints et les mystiques que les magiciens, les orgiastiques et les vulgaires fakirs et sorciers. Chacun de ces types de comportement magico-religieux correspond d’ailleurs à une forme déterminée de Yoga. »

Nous sommes désormais entrés dans le XXIème siècle. J’ai souvent affirmé à qui voulait l’entendre que je faisais du yoga en épluchant mes légumes pour le repas… Vaste programme sur lequel je reviendrai… ou pas.

Mais restons encore un peu assis.

La posture assise parfaite telle que les enseignants de hatha-yoga contemporains la décrivent est assez torturante pour la majorité des individus habitués dès le plus jeune âge à être assis sur un siège avec dossier. C’est néanmoins, une parfaite manière de s’asseoir sur le sol pour travailler, comme ce vieux bijoutier rencontré dans les rues d’Atar (Mauritanie)
bijoutier

C’est une position que je tiens facilement et confortablement. C’est naturellement ainsi que je m’assois dans la nature lorsque je souhaite avoir le dos droit, le corps ouvert à tous les sens et la tête dans le ciel.
Quiconque souhaite être assis en conscience doit uniquement veiller à la rectitude de son dos, à l’ouverture de sa poitrine et à la hauteur de sa tête. Quelque soit la manière choisie pour faire reposer le poids du corps (sur un siège ou sur la terre), la répartition des appuis doit être harmonieuse, symétrique et consciente. Ainsi chacun peut découvrir « sa » parfaite posture et s’astreindre ensuite à la reproduire scrupuleusement.
Il faut voir « l’assise » d’un enfant prêt à marcher pour se convaincre de ce que nous devons re-trouver : cette rectitude du dos, cette ouverture glorieuse du thorax qui nous porte vers plus loin et participe à nous élever.

A suivre

6 réflexions sur « Les sens de l’être (4) »

  1. JT Auteur de l’article

    En réponse à la question de Fred: »Comment (re)trouver qui je suis et ne plus être ce qu’il est exigé que je sois… ? »

    Simplement.
    Simplement…
    Parce que nous sommes d’évidence ce que nous sommes, ni plus, ni moins.
    Il y a peut-être un seul truc à essayer : balayer tous les mensonges que nous nous faisons à nous même. Certes, c’est un véritable effort, d’autant plus que les minuscules mensonges ont naturellement tendance à rester collés dans des coins presque inaccessibles.

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  2. Fred

    « Je souhaite simplement entrouvrir la porte vers “deviens qui tu es” quand la tendance sociétale naturelle engage à se “battre” pour devenir ce qu’il est exigé que nous devenions. » : je ne peux qu’être d’accord avec ce point de vue. Simplement, comment (re)trouver qui je suis et ne plus être ce qu’il est exigé que je sois… ?

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  3. Fred

    « Il faut voir “l’assise” d’un enfant prêt à marcher pour se convaincre de ce que nous devons re-trouver : cette rectitude du dos, cette ouverture glorieuse du thorax qui nous porte vers plus loin et participe à nous élever. » : oh, oui, mille fois oui ! Je suis émerveillée par les tout-petits quand ils se tiennent assis ! Tes mots sont exactement cela ! Tant de choses à réapprendre des jeunes enfants. J’en ai une autre en tête, je verrai si tu en parles 😉

    Pourquoi les enfants perdent-ils en quelques années (peut-être même plus rapidement ?) cette magnifique posture ? Les miens qui ne sont pourtant pas vieux, tu le sais, ne se tiennent plus ainsi 🙁 « Tiens-toi droit »…

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    1. JT Auteur de l’article

      Le billet n°9 reste à ce jour « pas bon », donc non visible. Cette injonction « tiens-toi droit » pourrait contribuer à lui donner un fil directeur. Merci 🙂

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  4. Fred

    Tu ne précises pas l’origine des traductions en différentes langues : est-ce que la version française, par exemple, est issue du texte original en sanscrit ou en anglais ?
    Dans le premier cas, outre les approximations de traduction que nous avons fatalement d’une langue à l’autre, on y ajoute comme tu le soulignes, le point de vue de l’auteur (même si dilué).
    Dans le deuxième cas, on y trouve les approximations de langage hindou vers anglais + celles issues de la traduction anglais vers français, et le point de vue de l’auteur anglais + celui du français. Autant de possibilités de dénaturer la parole initiale (qui elle-même est le fruit d’une tradition orale…) : cf. dernier paragraphe du message n°2 ;-), comment peut-on ensuite affirmer que telle ou telle pratique était exactement enseignée de telle ou telle façon ? (ceci est valable pour n’importe quelle pratique et je pense notamment à celle des arts martiaux qui m’est plus familière). Je continue ma lecture 🙂

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    1. JT Auteur de l’article

      Oui, au sujet des traductions, c’est exactement ce que je souhaitais aborder. La multiplication actuelle des enseignements qui tendent à figer « la tradition » (souvent de manière drastique) à travers diverses chapelles m’irrite quel que soit le sujet initial. J’entends bien que chacun est libre d’y découvrir une nouvelle voie pour aller plus en avant. Je ne conteste point que chacun peut désirer tester cette voie. Je souhaite simplement entrouvrir la porte vers « deviens qui tu es » quand la tendance sociétale naturelle engage à se « battre » pour devenir ce qu’il est exigé que nous devenions. Et j’ajoute, que de mon point de vue, en visant « moi-je », il devient possible de se regarder soi-même sans complaisance et avec bienveillance, donc de voir l’autre sans filtre avec la même lucidité et la même bienveillance et finalement de mieux vivre tous ensemble. 😉

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