De la source à l’océan, la Loire (6)

Rédigé en juillet 2019 (les ajouts dans le texte initial sont en italique)

22 Sep 2012 – 21:35 sur le Forum de SUP


Et oui, il est tard, mais vous imaginez bien que je ne peux pas aller dormir si vite. Ma vie avec la Loire est achevée, j’ai retrouvé la famille et le « confort ».
Comme toujours dans ce genre d’aventure au long cours, il reste la présence d’une saveur qui n’a pas encore fini de révéler l’ensemble de ses subtilités.
L’écriture viendra un jour… (ou pas)
Pour l’instant je vais me contenter d’essayer de répondre aux questions que vous allez poser.

(…) je coupe les incontournables mercis diplomatiques!

Ce fut une merveilleuse, une extra-ordinaire aventure, du premier au dernier kilomètre.

Le lendemain sur le forum de SUP

Merci pour ces questions.
J’en profite pour aligner quelques chiffres, j’adore les chiffres .
La Loire mesure officiellement 1013 km.
Elle prend sa source à 1551 m d’altitude et dégringole les 100 premiers kilomètres (ceux que j’ai fait à pieds) pour arriver à l’altitude de 600m vers le Puy-en-Velay.
A Nevers, elle est à 180m d’altitude, à Orléans 80m, 50m à Tours pour arriver au niveau de l’océan à Nantes.
En lisant, il est facile de comprendre l’évolution de la course du fleuve et ce que j’ai pu y rencontrer en terme de mouvements d’eau.

Je suis passée sous 122 ponts, dont un certain nombre très anciens ou plus récents ne permettaient pas un passage en sécurité (rappels, radiers), d’autant moins que la planche de SUP est dotée d’un aileron capable de s’accrocher dans le moindre rocher qui affleure.
Le vieux pont de Tours fut le dernier que j’ai dû passer en portant.
Pour autant, le 100 ème pont (Vieux Pont de Cé, près d’Angers) fournit non seulement une belle accélération, mais est suivi d’un radier que les kayakistes du coin ont cassé pour former un passage, mais pas dans l’axe des arches… En conséquence, j’ai eu une belle montée d’adrénaline en le passant sur l’eau!
Je me suis également fait une belle frayeur rétrospective à la sortie de Tours où deux ponts se succèdent en quelques mètres, créant un étrange courant tourbillonnant. Mais, je suis passée!

J’ai frôlé 4 centrales nucléaires, dont 3 avec portage obligatoire.

280 km du Val de Loire sont classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco, beaucoup plus sont en réserve naturelle, riches d’une faune et d’une flore exceptionnelle.

Un rapide calcul montre que mon avancée sur l’eau fut de l’ordre de 44 km par jour. Ce calcul ne prend en compte que la distance « routière » car le fleuve, après Nevers, est particulièrement doué pour tirer des bords.
Les spécialistes affirment que dans certaines zones pour 1km « routier », on fait 3km en suivant le lit majeur et donc le courant principal…. Ne me demandez donc pas le nombre de kilomètres parcourus en vrai!

Je suis tombée une seule fois sur un espèce de mini déversoir que je n’ai pas vu venir après Roanne. La planche s’est mise en travers après accrochage de l’aileron et hop, au bain. Il faisait beau, j’avais pied et personne ne regardait…

Donc j’en arrive aux questions et voici les réponses

– J’ai tenu un « livre de bord », en premier afin de ne pas perdre le fil du calendrier. Isolée, en autonomie, parfois plusieurs jours sans contact avec la civilisation, j’avais besoin de noter à minima la date du jour Par contre, je n’ai pas écrit grand chose. Ce genre d’aventure se vit en priorité dans l’immensité des sensations. Les impressions vont s’écrire et se figer dans les jours qui viennent.

– Mes mains vont bien, elles sont normales, ceux qui étaient hier à l’arrivée peuvent en témoigner!
J’en ai pris soin chaque soir, ainsi que de l’ensemble du moteur et je dois dire qu’une fois de plus, je suis étonnée (de mon état de grande forme et d’intégrité physique à l’arrivée).
Une certaine souplesse évite peut-être les stigmates?

– En terme de poids, j’ai perdu un peu de lard (3kg) en mangeant plus qu’à ma faim (je me suis parfois forcée). Très attentive à ma nourriture (même si il peut paraître ascétique, le menu de chaque jour était réellement étudié), j’ai « fait du muscle », donc le résultat sur la balance ne traduit pas exactement la modification corporelle.

– Le courant portant est une chose, la météo en est une autre.
J’ai globalement bénéficié d’une météo favorable avec assez peu de jours vent de face. En plus, après mon jour de repos (« généreusement » octroyé après 15 jours de trip, justement en raison d’une météo défavorable), j’ai eu la bonne surprise de constater que le niveau était monté de 10cm, juste ce qui permettait de faciliter le passage de mon aileron sur l’ensemble du lit du fleuve, et ce n’était pas du luxe!
Dans ce genre de trip, aucun record ne peut s’afficher autrement que par prétention car tout dépend du niveau de l’eau et du sens du vent avant de dépendre de la machine à ramer

Ecrire un bouquin ? Tu m’invites à partir un peu au large du sujet, je vais essayer de faire court et pas saoulant
Tu sais, les livres n’intéressent pas grand monde.
Ecrire POUR les autres quand « les autres » appartiennent à un microcosme d’une centaine de personnes, c’est risquer de n’avoir que trois clients et trois bonnes âmes qui achètent « pour faire plaisir »… Vu le boulot que ça représente, ça ne vaut pas son pesant de cacahuètes En plus, je serais bien incapable d’écrire un livre de recettes et c’est le seul truc qui se vend un petit peu
Bref
Pour résumer, rien ne vaut l’expérience.
Et puisque je « flotte » encore un peu, je me laisse aller à te proposer cet aphorisme attribué à Baba Hari Dass: « L’image du feu ressemble au feu, mais elle ne brûle pas »
Pour ta gouverne, je peux ajouter que je ne connaissais ABSOLUMENT rien à la vie d’une rivière avant de partir. J’étais simplement prête pour aller y jouer, j’avais rencontré du monde, j’avais questionné des spécialistes, j’avais en stock quelques d’expériences maritimes dans les vagues, le clapot et les courants. J’étais prête physiquement et mentalement. En cours de route, j’ai beaucoup appris, j’ai appris avec tous mes sens, dans tous les sens, en ratant, en rattrapant, en essayant… J’ai fini par y arriver à la mesure qui m’allait bien.

Que dire de plus?
J’avais du temps, ce n’était pas une compétition, ce n’était pas un concours, je pouvais donc examiner tranquillement chaque situation. Je pense que le plus grand danger, c’est généralement nous-mêmes qui le fabriquons

Voilà