De l’impossible

En marge 10

 

Il y a quelques années, tandis que je me préparais à commettre « Passage de Vies », j’avais eu accès à un manuscrit médiéval. Comme toujours le hasard avait fait très fort en permettant une rencontre virtuelle (by mail) avec un doctorant de Montpellier qui oeuvrait sur le manuscrit.

Il travaillait sur la traduction française.

J’ai rapidement trouvé une universitaire américaine qui avait effectué un travail similaire en langue anglaise.

Quelle ne fut pas ma… non-surprise en découvrant que les mêmes chapitres n’avaient pas tout à fait la même signification et qu’ils étaient exploités très différemment par les deux chercheurs ! L’un et l’autre avaient des niveaux universitaires analogues, mais l’un était un homme français et l’autre une femme américaine.

Rien de bien extraordinaire, je le concède.
Nous connaissons tous les limites des mots.
Ils sont posés un jour et interprétés un autre, par d’autres personnes.
N’est-ce pas la vie des mots?

Il a fallu du temps pour que j’accepte de partager mes écrits sans inquiétude au sujet de ce que les autres allaient en faire.

Entre nous, il faut avouer que je suis TRES lente.

Pour pondre un commentaire sur fac*book, il me faut parfois des heures. La recherche du mot juste exprimant ma pensée de l’instant est une agréable trituration de l’esprit mais une perte de temps vertigineuse pour la mère de famille sans assistance que je reste.
Je ne parle même pas de travailler le style, je parle à peine de la relecture au sujet de la concordance des temps ou de l’orthographe puisque l’exemple est « seulement » celui d’une commentaire fac*book…

Je vous laisse donc imaginer le temps nécessaire pour élaborer une phrase qui est destinée à être imprimée, lue, et citée parfois, par des personnes que je ne connais pas du tout, par une population truffée « d’ennemis » potentiels.

Accepter de « lancer » ma prose dans le monde du livre pour la première fois fut aussi difficile et libérateur que le franchissement du parapet d’un pont précédent une première descente en rappel.

Pourquoi est-ce que je raconte ça?
Parce que.

A l’impossible , nul n’est tenu.

J’avais emprunté quelques lignes :
«J’ai eu l’imprudence de lire ce matin quelques feuilles publiques; soudain, une indolence, du poids de vingt atmosphères, s’est abattue sur moi, et je me suis arrêté devant l’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j’amoncellerais sans fruits les explications.»
Charles Baudelaire; Projet de préface pour une Edition Nouvelle des Fleurs du Mal

Je les emprunterai certainement d’autres fois. Elles me parlent…