Deuxième passage

A traits Communs 5

Hier, je suis retournée à l’imprimerie. La première fois, c’était le mois dernier, presque un an après le début du projet pour lequel une gestation de neuf mois paraissait suffisante…
J’avais poussé cette porte là, en suivant l’avis d’une personne qui connaissait. Ce jour, j’avais eu l’impression d’être Bécassine déguisée en rombière huppée. J’étais pourtant fagotée comme d’habitude. Mais ma demande paraissait si démesurée, inexplicable en deux mots et l’univers était si lointain de ceux que je côtoie d’ordinaire, que je ne savais plus vraiment qui j’étais!
Heureusement, l’accueil était très courtois et il sembla même que je ne demandais pas la lune.

Le hasard étant ce qu’il est, ce fut Ana qui me reçut.

Tous sens ouverts, je peinais cependant à capter l’immensité inconnue. Chaque mot prononcé par mon interlocutrice, chaque question posée, l’était dans une langue que je ne maîtrisais pas et ses explications se bousculaient trop vite, avec trop d’empressement pour que je puisse attraper, sentir, toucher ce dont j’avais besoin. Elle devait avoir l’habitude car j’ai reçu deux jours plus tard un premier devis dont la description correspondait à ce que j’avais sollicité.

J’avais même dû paraître suffisamment crédible pour être relancée quinze jours plus tard.
Ce n’étais pas l’heure, il fallait passer le 10 octobre pour que j’ai la tête un peu plus libre.

Donc, j’y suis retournée hier. J’ai demandé à voir Ana. Elle m’attendait.
Et hier, j’étais vraiment « moi », sans doute parce que je me reconnaissais!

L’entreprise est née il y a plus d’un siècle, elle est restée familiale. Elle respire de manière humaine. C’est tellement important, c’est une part essentielle de l’histoire que je m’obstine à concevoir comme un tout.
Les cadeaux se sont succédés. D’abord avec le passage du maître des lieux « Vous comprenez » ai-je dis «  c’est un rêve qui va prendre forme ici! » Et j’ai vu ses yeux briller. « Oui, on a travaillé sur un projet comme cela, il y a deux ans… Vous pouvez compter sur nous, ce sera un plaisir! »

Et il m’a entraîné dans la visite. Non seulement l’entreprise respecte l’environnement dans les moindre détails, mais il est certain que le travail s’effectue en équipe de manière harmonieuse, ça se sent, ça se voit!
Et, alors que des machines high-tech y tournent 24h/24h, j’ai découvert, à la fois fascinée et ravie, que la création est artisanale, qu’elle fait appelle aux sens… Au toucher surtout! Les mains courent, jugent, évaluent, caressent. Les mains dansent!

J’avais été conquise par un papier la première fois, il n’y a pas de doute, ce sera celui-là, j’aime sa texture, son poids, sa couleur… J’ai l’impression d’être chez un couturier et de choisir les tissus. Je palpe, j’effleure les échantillons, je bois leurs couleurs. La page de garde sera rouge… Passion…

J’imagine déjà l’ultime remaniement des images…
Quand l’encre rencontrera la matière.

Il y a quelque chose de vivant dans l’imprimerie. Il existe quelque chose qui échappe aux machines dans cette rencontre. A la manière dont ils en parlent, c’est une évidence.
« Vous pourrez venir voir sortir les premières pages, les premières photos » dit-elle…

J’irai,
Et certainement pas seule!
L’ultime passage de l’image, le bout du chemin qui va de l’écorce vivante au papier recyclé… après avoir cherché la lumière entre l’océan et la chambre noire, une seule personne pourra en mesurer la quintessence!